Jean-Pierre Mocky développait un style et des scénarios qui n'appartenaient définitivement qu'à lui. Le premier était souvent débridé, toujours foutraque, les seconds abordaient des sujets aussi débrayés que libertaires voire contestataires. Tel est le cas de La Grande lessive (!), titre idiot que les producteurs lui ont imposé à la place du "Tube" comme Mocky souhaitait le baptiser. Il y dirige à nouveau - et pour l'avant- dernière fois - Bourvil avec lequel il s'était brouillé après La cité de l'indicible peur (1964). Il l'imagine cette fois dans la peau d'un professeur de latin (Saint-Just !) qui, après avoir constaté les effets néfastes que ce moloch moderne déclenche sur ses élèves ( et sur la société toute entière), se lance dans une croisade contre la télévision en sabotant les antennes sur les toits de Paris. Certes loufoque et naïve, cette dénonciation du pouvoir de la petite lucarne qui détruit les foyers, hypnotise ceux qui la regarde et transforme de braves gens en tueur pour se voir offrir une télévision couleurs, n'en demeure pas moins visionnaire en cela qu'elle anticipe les ravages actuels causés par les écrans qui ont envahi et aliéné notre quotidien.
Comme souvent avec Mocky, La grande lessive (!) tourne un peu en rond, pressant jusqu'à la dernière goutte des situations parfois répétitives mais, emporté par un rythme trépidant où chaque gag en entraine un autre en un tourbillon iconoclaste, sa force comique est totale. Selon sa (bonne) habitude également, le réalisateur tire à boulet rouge sur tout ce qui bouge (l'Eglise, la police, l'éducation), croque au détour d'une scène un personnage délirant (la pute qui tapine sur les toits), inverse les rôles en montrant, en 1968 (!), une jeunesse disciplinée qui a soif d'apprendre face aux adultes paresseux et oisifs, sans jamais manquer d'égratigner l'élite qui elle, prend soin de préserver sa progéniture des dangers de la télé contrairement au peuple ivre de ce nouvel opium. La verve truculente de Mocky rencontre enfin des comédiens en roue libre (dans le bon sens du terme), du fidèle Francis Blanche en dentiste lubrique, moumoute blonde et mains baladeuses, à Michael Lonsdale, de Jean Poiret à Marcel Pérès tandis que la délicieuse Karyn Balm exsude son charme coquin. Et puis il y a évidemment Bourvil, un peu fou, toujours tendre et laissant poindre par moment la tristesse d'une vie solitaire... (vu le 14.11.2021) ⍖⍖⍖
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