CinéZone | Richard Tuggle - La corde raide (1984)


Bien qu’il ait atteint la gloire grâce à l’inspecteur Harry Callahan, Clint Eastwood a joué au cours de sa longue carrière d’autres rôles de flics. Wes Block dans La corde raide, est l’un d’entre eux. Après L’épreuve de force, il s’agit d’une nouvelle variation autour de ce type de personnage et probablement la plus intéressante. Block présente de nombreuses différences avec Dirty Harry. Il a une vie de famille et n’a rien d’un flic invulnérable, bien au contraire. Il possède des fêlures, qui ne sont cependant pas dues à un trauma quelconque. Ce sont ses penchants sexuelles déviants, nés de l’échec de son mariage qui en font un être tourmenté, cultivant une part d’ombre inquiétante. Seule sa plaque et sa faculté à dominer ses pulsions le différencient vraiment du meurtrier. Tous les deux sont les deux faces d’une même pièce. Tout dans le film contribue à rapprocher les deux personnages, le policier et le tueur : ils fréquentent les mêmes endroits, côtoient des femmes identiques, l’un est flic et l’autre l’a été…De fait La corde raide est une œuvre particulièrement sombre privilégiant les ambiances nocturnes, en même temps qu’une plongée dans un univers glauque et malsain où s’étalent toutes les perversions sexuelles. De plus la vision de la Nouvelle-Orléans s’avère des plus oppressantes, à l’image de la scène du carnaval et Clint apparaît la plupart du temps mangé par la pénombre comme pour signifier les zones d’ombre qui le rongent. Eastwood adore ce genre de héros ambigu. Toutefois, jamais il n’est allé aussi loin et il est courageux de sa part d’interpréter un homme attirer par les plaisirs sadomasochistes. Les relations qu’il entretient avec ses filles demeurent intéressantes et se nourrissent d’une part autobiographique certaine, renforcée par la présence de sa propre fille, Alison, dans le rôle de Amanda Block. Wes, père divorcé, aime ses enfants mais, de part son métier, il se retrouve souvent absent de chez lui. 

L’analogie avec le comédien est des plus évidentes. Les rapports père-fille semblent être un thème qui lui tient à cœur car il imprègne nombre de ses films, tels que Les pleins pouvoirs, Jugé coupable et bien sûr Million Dollar Baby, œuvre matricielle s’il en est. Il va s’en dire que Clint se révèle parfait dans la peau de ce flic ténébreux. Les scènes entre Geneviève Bujold, parfaite en activiste féministe, et lui sont des plus réjouissantes. Leur duo fonctionne bien d’autant plus qu’ils n’ont aucun de ses moments intimes et convenues que beaucoup se serait sentis obligé de filmer et que les deux acteurs ont volontairement écarté. Responsable du scénario de L’évadé d’Alcatraz, Richard Tuggle occupe sur La corde raide les fonctions de réalisateur et de scénariste. Clint Eastwood, favorablement impressionné par le travail effectué par Michael Cimino sur Le canardeur, dont c‘était aussi le premier film, offre à Tuggle la chance de passer pour la première fois derrière la caméra. Mais très vite, apparemment au bout d’une journée, l’apprenti metteur en scène démontre son incapacité à assurer son rôle. On sait aujourd’hui que Eastwood a plus ou moins dirigé le film lui-même, tâche rendue d’autant plus facile que sa propre équipe technique travaillait sur le plateau et que les scènes avec sa fille n’aurait pu être tournées d’une manière aussi complice par un autre réalisateur. Respectant le travail de Tuggle, Clint n’a pas souhaité le renvoyer ce que, de toute façon, il n’aurait pas pu faire, à cause du précédent qu’il a lui même créé lors du tournage de Josey Wales hors-la-loi, durant lequel il a mis à la porte Philip Kaufman, pratique qui a fortement déplu à la Screen Director’s Guild laquelle interdit depuis à tout membre de l’équipe de tournage de renvoyer le réalisateur. Toujours est-il que La corde raide porte la griffe de Clint Eastwood qui, après Le retour de l’inspecteur Harry en 1983, confirme son goût pour les climats troubles, violents et sombres. (13.09.2016) ⍖⍖⍖





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