CinéZone | Raoul Walsh - High Sierra (1941)


De loin, High Sierra ressemble à un banal film de gangster avec son bandit qui, à peine sorti de prison, est rattrapé par son passé, raison pour laquelle d'ailleurs George Raft puis Paul Muni ont successivement refusé de camper le rôle de Roy Earle. La légende est connue :  Humphrey Bogart accepte de tourner dans ce film dont le succès participera,  avec le triomphe à venir du Faucon maltais (également refusé par Raft !), à faire de lui une star et un mythe du septième art. Car de près, en effet, La grande évasion (en français) n'est pas une histoire de gangsters de plus, œuvre au contraire d'une grande richesse psychologique. Cette qualité, il la doit déjà à John Huston, qui adapte le roman de William Burnett dans lequel il puisse matière à nourrir ses propres obsessions (la fatalité, le groupe d'hommes mus par un idéal...). Il renouvelle ainsi avec brio et intelligence le personnage du malfrat qu'il pare d'un romanesque tragique. S'il est jalonné de scènes d'action aussi intenses que sèches dans la grande tradition du genre (le braquage de l'hôtel, la poursuite en voiture qui suit), le film s'attarde en réalité avant tout sur les temps morts, sur l'intimité de ce bandit que voile une indicible mélancolie. Roy Earle cherche à s'arracher à cette vie de violence, à être libre auprès d'une fille pure que le mal n'a pas souillée et qu'il croit trouver dans une jeune infirme à laquelle il offre la guérison. Mais refusant son amour, elle le pousse vers une issue inexorable. 

Jusque là habitué à être dans l'ombre des James Cagney et consorts, Humphrey Bogart confère toute son humanité à ce personnage magnifique qu'il teinte de cette triste fragilité qui n'appartient déjà qu'à lui. Ce rôle initie pour lui toute une série de héros plus complexes qu'il habite avec sa présence faussement dure. Flanqué d'acteurs solides qui ne tarderont pas eux même à s'imposer, de Arthur Kennedy à Cornel Wilde, Bogart forme avec Ida Lupino (en haut de l'affiche) un couple inoubliable plus platonique que charnel et cimenté par une infinie tendresse. Mais la mort les séparera, il ne peut en être autrement. On le devine très tôt, dés l'irruption de ce petit chien qui traîne avec lui la Faucheuse. Louons enfin la réalisation de Raoul Walsh, concise et plantée dans ce décor rocailleux et accidenté comme une métaphore de la fuite en avant de son principal protagoniste. Enfermée dans les à peine 60 minutes réglementaires, cette science de l'action nerveuse qui ne l'exonère pour autant pas d'une psychologie particulièrement fouillée laisse rêveur aujourd'hui où les cinéastes se révèlent incapables d'aller à l'essentiel, s'égarant dans le superflu. Au contraire chez Walsh, les pauses, les accalmies nourrissent autant le suspense que les personnages. Puissant et tragique, High Sierra n'a rien perdu de sa force émotionnel. Il sera refait en western par Walsh lui-même (La fille du désert) puis par Stuart Heisler (La peur au ventre) avec Jack Palance et Lee Marvin. (26.04.2022) ⍖⍖⍖⍖



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