Norman Jewison - Rollerball (1975)


Au début des années 70, (enfin) entré dans l'âge adulte grâce au 2001 : L'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick, le cinéma de science-fiction, essentiellement américain, se fait l'écho des inquiétudes politiques et souvent écologiques qui travaillent alors les sociétés, qu'il s'agisse de Soleil Vert, Silent Running, THX 1138 ou Zardoz. Rollerball s'inscrit dans ce contexte, imaginant un futur où le sport a remplacé la guerre, exécutoire d'une violence désormais circonscrite aux arènes gigantesques qui voient s'affronter dans une brutalité primitive les gladiateurs d'une nouvelle ère. Le pain et le cirque, pour paraphraser le titre d'un ouvrage fameux de l'historien Paul Veyne. Il y a bien sûr beaucoup de la Rome antique dans Rollerball mais les dirigeants de corporations tentaculaires se sont substitués aux empereurs de jadis. Il y a surtout beaucoup du Meilleur des mondes de Aldous Huxley et du 1984 de George Orwell dans cette peinture d'un futur que domine un nouvel ordre mondial mystérieux aliénant les hommes dont les individualités sont gommées. Triomphe des masses pour les masses elles mêmes, le Rollerball a pourtant contre toute attente permis l'émergence d'un héros, Jonathan E. nouveau dieu adulé par le public. Sa popularité inquiète Bartholomew et les autres patrons de ces cartels économiques qui voient en elle une menace, moins pour le danger qu'elle représente pour leur pouvoir mais comme le ferment d'une remise en cause de la société qu'ils ont façonnée. Jonathan incarne ainsi l'individualisme honni qu'il faut à tout prix étouffer. 

La caste dirigeante s'emploiera alors à l'effacer en changeant les règles d'un sport qui mutera peu à peu en un spectacle de plus en plus barbare afin d'éliminer ce héros devenu trop encombrant pour le système. Si le public d'aujourd'hui jugera bien sage la violence du film par ailleurs bavard et illustrant un futur réduit à des escalators et à des édifices de béton, les séquences de Rollerball, croisement entre le football américain, le patinage à roulette et le motocyclisme, qui l'émaillent n'ont pourtant rien perdu de leur force. Norman Jewison, dont il s'agit sans aucun doute de l'œuvre maîtresse, les réalise avec une virtuosité qui doit beaucoup à un montage habile dont la nervosité s'accroit en même temps que le sport redouble de brutalité. Lorsque la caméra quitte la piste, la tension retombe mais ces moments plus intimes font affleurer une mélancolie que rumine la présence désenchantée de James Caan et la vacuité d'une société malade. La silhouette fascinante d'un urbanisme froid (fourni par la ville de Munich) et la bande-son empruntée au 'Toccata et fugue en ré mineur' de Bach et à l'adagio d'Albinoni soulignent l'envoûtement que créé ce mètre-étalon de la science-fiction, il va sans dire, inutilement refait par John McTiernan en 2002. (11.06.2022) ⍖⍖⍖





 

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