CinéZone | Claude Sautet - Un mauvais fils (1980)


Quand bien même le rôle n'a pas été écrit pour lui (Claude Sautet avait un temps envisagé Gérard Depardieu pour l'interpréter), le fait est qu'on imagine mal un autre acteur que Patrick Dewaere (sans moustache !) se glisser dans la peau de Bruno, jeune homme au regard désespéré, abîmé par la vie et en quête d'amour paternel. Il faut dire que selon sa destructrice habitude, le comédien a mis beaucoup de lui dans ce personnage avec lequel il se confond d'une manière troublante, écorché vif qui bataille contre la drogue et une vie affective et sentimentale chaotique. Qu'Yves Robert, qui le connaissait depuis qu'il était enfant, ait été choisi pour jouer son père participe de cette dimension quasi autobiographique.  Après Série noire de Corneau dont Un mauvais fils se révèle finalement assez proche, il livre là une de ses performances les plus habitées, toute en détresse pathétique avec ce mélange de fragilité et de forfanterie qui n'appartenait qu'à lui. Claude Sautet déserte l'univers bourgeois qui a fait sa renommée dans les années 70 pour s'enfoncer dans une France plus populaire, celle de ce peuple qui se lève tôt dans un matin frileux, les yeux brouillardeux, le visage chiffonné. C'est aussi une France des immigrés qui jusque là était invisibilisé par le cinéma. Le réalisateur impressionne par son sens de l'épure qui en dit beaucoup avec peu. Dès le début, en une scène, celle de l'interrogatoire à l'aéroport, le drame se noue déjà, ses ressorts sont esquissés. 


On apprend que Bruno revient des Etats-Unis où il a purgé une peine de prison pour trafic de drogue. Quand on l'interroge sur ses parents, il se montre vague sur son père dont il ignore la date et le lieu de naissance précis mais répond sans hésitation à ces mêmes questions concernant sa mère. Celle-ci est décédée pendant son incarcération, fantôme qui ne cessera de s'interposer entre le père et le fils, le premier accusant le second d'être responsable de sa mort. Entre les deux, un regard, un geste, une attitude, une façon de se tenir, de s'assoir, suffisent à exprimer les reproches mais aussi un amour profond, repoussé, enfoui. Cette impossibilité à communiquer, à exprimer des émotions se retrouve dans la relation que tisse Bruno avec Catherine (Brigitte Fossey) qu'il rencontre dans une librairie tenu par un vieil homosexuel (délicieux Jacques Dufilho). Droguée, elle aussi a trouvé refuge au milieu des livres mais elle n'est pas sevrée de ses anciens démons et leur relation confine à l'autodestruction mutuelle. Ils s'aiment cependant d'un amour passionné qui les poussent à recoller les morceaux de leur vie fracturée, cassée. Une cure de désintoxication la soigne, la nettoie de l'intérieur tandis qu'il se rapproche enfin de son père même si leur relation semble toujours compliquée, heurtée par les non-dits et les ressentiments. Dans les dernières images, Bruno veille sur son paternel diminué, échoué dans un lit entre cigarettes et bouteilles de vin. Il tente de joindre par téléphone Catherine mais elle est absente. Se retrouveront-ils ? Sautet ne fournit pas de réponse, laissant chacun imaginer l'issue de cette histoire sincère imbibée dans une triste réalité... (26.06.2022) ⍖⍖⍖⍖


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