Référence et archétype du film catastrophe, souvent imité jamais égalé, La tour infernale a étonnamment échappé aux affres du temps (ceci expliquant sans doute cela). Peut-être parce, contrairement à bon nombre de rejeton de ce genre mal aimé et généralement moqué, il nous dispense des longues et obligées présentations des divers protagonistes. Mieux, au bout d'une douzaine de minutes, la menace est identifiée (un début d'incendie au milieu de la tour), d'abord jugé sans gravité avant de peu à peu se répandre comme une lèpre punitive, flammes divines d'un bûcher ardent qui condamne une humanité trop orgueilleuse. De fait, ces presque trois heures de bobine déroule sans jamais ennuyer un suspense paroxysmique qui ne s'éteint qu'une fois lancé le générique de fin. Après le succès remporté par L'aventure du Poséidon (1972), Irwin Allen voit les choses en plus grand encore, ivre de ce gigantisme typiquement hollywoodien. Il demande au scénariste chevronné Stirling Silliphant de fondre deux romans, The Tower de Richard Martin Stern et The Glass Inferno de Thomas N. Scortia et Frank M. Robinson. Chose rare, deux studios, la Warner et la Fox, s'associent pour mener à bien ce projet pharaonique par l'ampleur des moyens techniques alloués et le faste de sa distribution (nous y reviendrons). Comme il l'avait fait avec Ronald Neame, Allen embauche un cinéaste anglais pour assurer une réalisation dont il partage la paternité. La médiocrité de L'inévitable catastrophe (1978) et du Dernier secret du Poseidon (1979) qu'il signera seul, laisse toutefois penser que John Guillermin se révèle être le principal artisan de la réussite du film. Maîtrisée de bout en bout, sa mise en scène suit la progression du feu dont elle matérialise la funeste morsure comme rarement il nous a été donné de la sentir au cinéma.
A la démesure de ce monstre de béton, répond au contraire une ambiance suffocante de hui-clos. Aux scènes d'extérieur, très limitées, Guillermin privilégie une accroche claustrophobique. Sa caméra ne cesse de fouiller la topographie de l'édifice dont elle rend avec une efficacité anxiogène la réalité menaçante et pourtant fragile. Quelques plans de maquettes suffisent à conférer à cette tour de Babel sa dimension cyclopéenne. Sa seule vision réveille le vertige chez ceux qui en souffrent. Evidemment, La tour infernale ne serait pas ce qu'il est sans sa prestigieuse brochette de stars. L'affiche aligne trois des plus grandes vedettes hollywoodiennes de l'époque, Steve McQueen, Paul Newman et Faye Dunaway que secondent de vieilles gloires (William Holden Jennifer Jones, Fred Astaire qui semble toujours danser en marchant) et des réfugiés du petit écran (Robert Wagner, Richard Chamberlain, Robert Vaughn). Aucun ne force néanmoins son talent dans des rôles simplistes il est vrai. Sont également convoqués, dans la version française d'origine, quelques uns des doubleurs les plus emblématiques (Marcel Bozuffi, Claude Dauphin, Jean-Claude Michel, Dominique Paturel...), ceux qui font le sel du cinéma des années 60 et 70 , et dont on comprend mal pourquoi ils ont été effacés et remplacés depuis, victimes d'un nouveau doublage calamiteux. S'il n'échappe ni à certaines conventions (personnages archétypaux...) ni à un scénario linéaire ni à un ton moralisateur (le couple adultérin punit par le feu), le film n'en souffre pas, porté par la force de son sujet et de ses images ancrées pour l'éternité dans l'inconscient cinéphilique. Et au bout du compte une morale : l'Homme ne doit pas défier la nature et les cieux sans quoi il sera châtié et son travail, détruit par les éléments (le feu, l'eau). Eminemment phallique, cette tour symbolise la virilité brisée de l'Homme impuissant foudroyé pour son orgueil et son audace vantarde. (18.06.2022) ⍖⍖⍖
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