CinéZone | Nikos Papatakis - Les abysses (1963)


En 1933, les sœurs Papin assassinent leurs patronnes, fait divers sordide qui passionnera la France à l'occasion du procès qui en découlera. Bien qu'il ait toujours nié sans être inspiré, Jean Genet adapte cette histoire en pièce de théâtre (Les bonnes) en 1947, elle-même source du film Les abysses que réalise en 1963 Nikos Papatakis. Loin de chercher à aérer ce matériau pesant, celui-ci parait même au contraire accentuer l'origine théâtrale de ce qui est sa première expérience pour le grand écran, renforçant la nature étouffante de huis clos d'un récit circonscrit aux murs d'une bâtisse à moitié délabrée qui suinte le malsain, la saleté et l'impureté, métaphore des âmes sombres et hideuses qui la peuplent. Toutefois, ceux qui s'attendent à trouver dans Les abysses une intrigue policière comme le fera bien plus tard Claude Chabrol avec La cérémonie (1995) en seront pour leur frais. De même, la poésie pouilleuse qui se dégage d'un noir et blanc profond n'arrime en aucun cas l'œuvre aux travaux d'un Franju ou d'un Jean Rollin. 


Au contraire, austère et dérangeant, le film se révèle hermétique et pour le moins difficile d'accès, électrisé par le jeu hystérique des comédiennes hérité du théâtre d'avant-garde des années 50. Inconfortable, il rebute autant qu'il fascine. Défendu par les intellectuels de gauche (Sartre et Beauvoir notamment), allégorie supposée sur la guerre d'Algérie, Les abysses réussit pourtant moins comme tableau marxiste de l'aliénation des classes populaires par des notables rongés par l'avarice sur fond de transaction immobilière viciée que comme plongée maladive dans un puits de noirceur. Usant d'une musique stridente et de décors trempés par la haine, Papatakis excelle à diffuser une lourde et paroxysmique atmosphère de folie, collant aux (beaux) visages des sœurs Bergé de plus en plus déformés par le fiel punitif jusqu'au point de non-retour. Cérébral et torturé, Les abysses n'offre aucun répit ni lumière au malheureux qui aura osé pousser la porte de cette maison aux allures de piège se refermant inexorablement sur ceux qui la pénètrent... De là l'attraction doublée de répulsion qu'il éveille sans pouvoir laisser indifférent.  (30.07.2022) ⍖⍖


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