CinéZone | Lewis Gilbert - L'admirable Crichton (1957)


Au départ, L'admirable Crichton est une pièce de théâtre écrite en 1902 par J.M. Barrie qui raille la société de classes anglaise sous l'ère victorienne. Des nombreuses adaptations cinématographiques (par Cecil B. DeMille notamment) ou télévisuelles, le film de Lewis Gilbert est le plus réussi, farce délicieuse et douce-amère. Crichton est un majordome au service d'un lord anglais et de ses trois filles. Malgré les aspirations égalitaires qui commencent alors à travailler la société britannique, la vie dans la demeure de l'aristocrate est régie par une imperméable distinction sociale. Longtemps avant Anthony Hopkins dans Les vestiges du jour (1993) de James Ivory, Kenneth More endosse l'uniforme de majordome entièrement dévoué à son maitre quoique une pointe d'insolence effleure parfois son visage figé. Certes aux ordres de Lord Loam, lui-même domine toute une hiérarchie de serviteurs dont il ne désire absolument pas qu'ils deviennent son égal. Par ailleurs, on devine chez l'aristocrate (idéalement incarné par Cecil Parker que l'on confondra éternellement avec ces majors anglais revenus des Indes) une timide sensibilité progressiste, une envie de gommer même très légèrement les frontières entres maîtres et valets par tendresse ou amitié. Ce que la société strictement compartimentée et le regard des autres lui refusent. Le naufrage du bateau acheminant le Lord et sa familles échoués sur un île déserte fera voler en éclat ce rapport de force dont l'ordre sera trouvera inversé. Loin de la civilisation, les nantis apparaissent dans toute leur inutilité, ne sachant rien faire, contrairement à Crichton dont la débrouillardise l'impose comme le chef naturel des rescapés. 


Si Loam, ses filles et leurs prétendants tentent bien au début de maintenir un simulacre d'ordre social à l'anglaise, très vite, le majordome comprend le bénéfice qu'il peut tirer de la situation. Après une longue ellipse de deux ans, nous retrouvons tous ces personnages ayant organisé leur vie à la manière d'un Robinson Crusoé mais le pouvoir s'est déplacé de Loam à Crichton, devenu roi de ce petit morceau de paradis. Loin de désapprouver cette nouvelle hiérarchie qui les a réduit aux joyeux serviteurs de leur ancien majordome, les aristocrates prennent goût à cet inversement des rôles de chacun qui les a transformé, rendu plus humains, plus attachants. Les hommes ont appris à travailler tandis que, naguère pimbêche hautaine, Mary s'est métamorphosée en fille de la jungle dont l'attirance (mutuelle) pour Crichton ne trouve plus dans ce cadre sauvage de barrière sociale pour la museler. Evidemment, on aimerait que l'utopie demeure, que les naufragés continuent de vivre ainsi pour toujours. Mais l'arrivée d'un bateau vient brusquement mettre un terme à l'aventure. L'apparition de Crichton revêtu de son costume d'autrefois siffle la fin de la récréation. De retour à Londres, chacun retrouve sa position, son rôle en une conclusion teintée de mélancolie. Brillante mise en scène de Lewis Gilbert, scénario astucieux qui sait tirer profit d'un postulat par trop schématique, un Kenneth More savoureux, mélange de séduction et de malice et une (re)découverte, Sally Ann Howes dont la prestation pleine d'une fougue racée, nous fait regretter que le cinéma ne l'ait pas utilisée davantage, bref, de la grande et belle comédie à l'anglaise. (28.08.2022) ⍖⍖⍖



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