Il y a un peu plus d’un an, Philippe Blache enfantait le sublime (selon sa très bonne habitude) The Ever Sounding Sea Of Grief, non pas sous le nom de Day Before Us, son jardin ambient éthéré, avec lequel il se confond par ailleurs, mais sous son propre patronyme. Bien que lui-même estime que les deux projets sont différents, les connections tant sonores que poétiques entre ce premier opus en solitaire et son principal port d’attache semblent pourtant évidentes, à commencer par ces rouleaux mélancoliques puissamment immersifs qui portent l’incontestable griffe de leur auteur. Et alors que cet essai paraissait devoir demeurer un exercice esseulé, Across The Silence And The Shade lui succède néanmoins, repoussant ipso facto une nouvelle offrande de Day Before Us. Si c’est avec impatience que nous guettons l’arrivée de cette dernière, le fait est que voir Philippe Blache poursuivre le chemin entamé par The Ever Sounding Sea Of Grief n’est pas non plus pour nous déplaire. Bien au contraire. Et plus encore sans doute que son prédécesseur, Across The Silence And The Shade s’éloigne du terreau cinématique de Day Before Us avec lequel il cultive évidemment une dramaturgie et une beauté enveloppante identiques qu’il exprime cependant avec une palette sonore plus crépusculaire. Alors que le disque précédent était toujours hanté, quoique de manière discrète, par ces vaporeuses mélopées féminines qui comptent parmi les invariants les plus reconnaissables de l’univers de Philippe Blache, elles se réduisent cette fois-ci à de rares narrations, lointaines (‘Swarms Of Thoughts’) voire plus prégnantes (‘Le soleil maudira la cruauté des dieux’).
Corollaire de cette empreinte vocale limitée à un faible halo de lumière, l’ensemble vibre avant tout d’une grande force instrumentale, tour à tour presque paroxysmique (‘Contra Spem Spero’), plus squelettique (‘Golden Wings Of Heaven Hovering Over The Fate’) mais toujours aussi brumeux dans ses textures emphatiques. Bien que retable indivisible, Across The Silence And The Shade se déploie néanmoins sous la forme de tableaux successifs dont chacun égrène son identité, sa spécificité. ‘Engulfed By The Sea Of Time’ gronde d’une sève dark ambient, ‘Lament Of The Marakis’ est parasité par des kystes grouillants aux confins d’un drone ténébreux tandis que ‘Stealing The Heart From Woe’ sonde des voûtes fantomatiques comme un ressac envoûtant. Héritier des poètes français du XIXème siècle, le maître des lieux puise dans les soubassements de son âme pour en extraire cette désolation spectrale et pulsative, romantique et hypnotique tout ensemble. Au-delà d’une réussite commune, Across The Silence And The Shade partage surtout avec toutes les autres créations conçues par Philippe Blache, cette puissance d’évocation qui résonne comme un voyage contemplatif, exploration cathartique qui ne peut se vivre que seul, dans l’obscurité d’une geôle peu à peu grignotée par les ténèbres. Avec au bout de ce chemin de pénitence, une question : où s’arrêtera le talent du musicien, esthète précieux de tessitures sonores sombrement intimistes capable d’envahir tout l’espace alentour, de modeler avec une délicatesse ombrageuse une mélancolie diaphane qui s’écoule en nappes immersives. (09.03.2024) ⍖⍖⍖⍖
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