CinéZone | Claude Chabrol - Que la bête meure (1969)


A partir de la fin des années 60, Claude Chabrol se mut en maître du polar au ton singulier, signant un formidable corpus  de films (Le boucher, Juste avant la nuit, Les noces rouges...) où il coule la dramaturgie de la série noire anglo-saxonne dans un cadre provincial et bourgeois typiquement français à la Simenon. Tourné la même année que La femme infidèle, Que la bête meure demeure un de ses métrages les plus aboutis. L'histoire est cruelle. Dans un petit village breton, un enfant qui revient de la pêche se fait écraser par un chauffard qui prend la fuite. Dévasté puis rongé par la haine, son père se lance dans une quête vengeresse : trouver le meurtrier de son fils et l'exécuter. Frappée du sceau de la tragédie, l'œuvre trempe dans une tristesse froide et inexorable. Tristesse de la voix de Michel Duchaussoy, homme brisé et mélancolique mais habité par une détermination aussi farouche que machiavélique. Tristesse encore de ces personnages qui tous échappent au bonheur, piégés dans une vie que le destin plongera dans le drame. Tristesse enfin de ces paysages rudes d'une Bretagne embuée par une froideur blafarde. Filant vers une issue évidemment fatale, le film installe peu à peu le face-à-face ambigu entre deux hommes que tout semble opposer.


D'un côté, Charles Tenier, le père du petit garçon, écrivain au caractère délicat dont le désir de vengeance dévoilera toutefois de roués penchants. De l'autre, Paul Decourt, garagiste brutal et abject qui concentre toutes les tares jusqu'à la caricature. L'un est un intellectuel, l'autre se moque de la culture, opposition classique entre l'intelligence subtile et la force rustre et néanmoins maline. Mais lequel des deux est le plus mauvais ? Si tout nous pousse à détester Decourt dont la méchanceté est génétique et à prendre fait et cause pour Tenier, celui-ci n'échappe pour autant pas au mal tapi derrière une déshumanisation doucereuse. Pour les incarner, Chabrol peut compter sur deux comédiens remarquables, Michel Duchaussoy, habité par un glacial désespoir et Jean Yanne, tout en gouaille vulgaire lequel, après Week-end (1967) de Godard et avant Le boucher du même Chabrol, démontre un talent d'acteur et une présence puissante que les comédies qu'ils tournaient jusqu'alors ne lui permettaient pas de déployer. Sous cet affrontement acharné entre un père et le meurtrier de son fils s'esquisse enfin en filigrane la peinture de cette bourgeoisie de Province que le réalisateur s'est toute sa vie employer à ausculter avec malice et cruauté. Avec une gourmandise toute hitchcockienne, ce dernier orchestre ce face-à-face implacable et tragique dont le temps n'a pas érodé la force désenchantée. (04.02.2023) ⍖⍖⍖⍖


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