CinéZone | Elia Kazan - A l'est d'Eden (1955)


Bien sûr, A l'est d'Eden évoque avant tout James Dean dont il est le premier des trois films (sans compter les quelques apparitions non créditées dans Baïonnette au canon ou La polka des marins). Lui succéderont La fureur de vivre de Nicholas Ray puis Géant de George Stevens. Un accident de la route mortel le 30 septembre 1955 soldera déjà la carrière naissante de cette étoile filante d'Hollywood, mort brutale qui participe du mythe romantique de l'acteur rebelle fauché tragiquement à l'âge de 24 ans. Ces trois films bénéficieraient-ils de la même aura si James Dean n'était pas parti si tôt ? Il est certes permis d'en douter, toutefois A l'est d'Eden, puisque c'est de lui dont il s'agit, ne saurait être réduit à la seule prestation du jeune comédien aussi marquante soit-elle. Face à lui, Raymond Massey et Jon Van Fleet imposent d'ailleurs une présence toute aussi forte et remarquable. Fresque intimiste, l'œuvre adapte un roman fleuve de John Steinbeck paru trois ans plus tôt. Avec l'accord de ce dernier, Elia Kazan ne conserve du matériau d'origine, outre une dimension religieuse particulièrement prégnante que la relation père-fils, évidemment complexe. Ce thème tient à coeur au cinéaste, qui affrontera lui-même son géniteur, mais aussi à James Dean qui a trouvé dans le rôle de ce jeune homme en mal de repère et d'amour, un écho à sa propre existence, ayant souffert de l'absence d'une mère et d'un père incapable de la moindre tendresse. Sur fond d'entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale et des mutations économiques qui travaillent alors le pays, le récit s'articule autour de multiples oppositions tant humaines que géographiques. 


Les premières se nouent entre Cal (Caïn) le fils et son père Adam qui a élevé ses deux garçons sous la chape pesante du puritanisme, autre thème qui intéresse particulièrement Elia Kazan. Cal se construit en outre par rapport à son frère Aaron qui semble parfait comparé à lui. La quête de la mère, figure maternelle dont la portée virginale est mise à mal par le personnage de Kate, mère (un peu) maquerelle (surtout), irrigue et façonne enfin son identité amputée d'une partie de lui-même. Le contraste se veut aussi géographique donc entre Monterey, refuge de la mère et Salinas où résident Adam et ses deux fils. La première partie du film dessine admirablement cette frontière que parcourt le jeune Cal comme une métaphore de son errance émotionnelle. Cette géographie trouve par ailleurs dans le cinémascope associé au technicolor (une première pour Kazan) chamarré de Ted McCord un écrin quasi pictural. Les scènes que partagent James Dean avec Julie Harris au milieu des champs ou celles qui illustrent des travailleurs qui se découpent sur un fond nuageux digne de Boudin, ont quelque chose de peintures en mouvement. On louera également l'éclairage très travaillé et les cadrages souvent obliques qui trahissent les rapports entre les protagonistes à l'occasion de séquences d'intérieurs toutes en contrastes et visuellement superbes. Inspiré de la Genèse (le monde rongé par les péchés de toutes sortes suite à l'expulsion de Adam et Eve du Jardin d'Eden, l'histoire d'Abel et Caïn), A l'est d'Eden possède ainsi de nombreuses lectures qui font de lui davantage un film d'Elia Kazan que le simple véhicule d'un James Dean dont la légende est alors en marche... (20.06.2023) ⍖⍖


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