CinéZone | Jerry Schatzberg - L'épouvantail (1973)


Deux hommes aux allures de vagabonds font de l’autostop le long d’une route, au milieu de nulle part. Comment sont-ils arrivés là ? Il ne se connaissent pas. L’un, Max, est grand avec quelque chose de brutal dans la carcasse, l’autre, Francis, est petit. On dirait presque un gamin. Cela pourrait être une adaptation du roman de Steinbeck, Des souris et des hommes mais ce n’est pas le cas, ne serait-ce parce que les personnages ne sont pas les mêmes et n’entretiennent pas le même rapport de force. Cependant, L’épouvantail s’inscrit parfaitement dans cette thématique de l’errance chère à la culture américaine, road-movie (évidemment) désenchanté où le parcours géographique se double d’un itinéraire moral. L’histoire est plantée dans l’Amérique de la première moitié des années 70, une Amérique en proie au doute, une Amérique dont le rêve qu’elle promettait à chacun s’est érodé. Max et Francis sont des marginaux, le premier vient de passer plusieurs années derrière les barreaux, le second, dans la marine. Le premier s’accroche à son projet de station-service dont il a minutieusement consigné tous les détails dans un petit carnet, le second, à son enfant qu’il n’a jamais vu et qu’il s’est mis en tête de rencontrer. Ce sont leurs rêves. Ils peuvent sembler dérisoires mais ils n’ont que cela. 


Jerry Schatzberg filme ces deux solitudes dont l’amitié ne tient finalement qu’à peu de chose : une dernière allumette. Cette amitié devient le socle de leur quête respective. Lorsqu’ils se retrouvent en prison pour une bagarre, Francis souffre de voir Max l’ignorer. Sans lui, il est perdu, manquant de se faire violer par un autre détenu. Après que son compagnon ait sombré dans la folie, Max voit son rêve de station-service s’effondrer. L’épouvantail semble finalement ne rien raconter sinon la détresse sourde de ces paumés qu’on suit au gré des rencontres qu’ils font et de dialogues parfois absurdes et sans intérêt, sillonnant un pays sinistre, bien loin justement du rêve américain. A la mise en scène épurée de Jerry Schatzberg, dont la longue expérience comme photographe façonne ces longs plans extrêmement élaborés à la profondeur de champ saisissante, répond la photographie superbe de Vilmos Zsigmond qui devient d’une certaine manière l’alter égo du cinéaste. Bien sûr, le film repose aussi grandement sur deux principaux comédiens qui font corps (et âme) avec leur personnage, Gene Hackman dans la peau de Max dont le physique de brute cache mal la solitude et le besoin d’être aimé, Al Pacino dans celle de Francis, ce jeune homme à la fragilité destructrice. Incompris lors de sa sortie en 1973 mais couronné par le festival de Cannes, L’épouvantail est une œuvre majeure du cinéma américain des années 70 dont elle est emblématique de la mélancolique qui confine au désespoir le plus absolu. (01.02.2024) ⍖⍖⍖


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