Il est toujours amusant de constater comment un film honni à sa sortie en salles se voit cinquante ans plus tard honoré par les cinémathèques, décortiqué, analysé jusqu’à l’excès par des critiques adaptes de la branlette intellectuelle. Tel est par exemple le cas de Massacre à la tronçonneuse, au départ film d’horreur controversé qui écopera en France d’une interdiction par la commission de contrôle, pourtant aujourd’hui appréhendé comme une œuvre d’auteur ! Ce qui n’est pas nécessairement faux mais paraît somme toute exagéré. Il fait dans tous les cas partie, au même titre que Orange mécanique, de ces objets de fantasme qui horrifient avant tout ceux qui ne les ont pas vus. Il est vrai que le métrage de Tobe Hooper expose tout un attirail visuel qui traverse l’inconscient collectif, de la tronçonneuse, depuis toujours associée à des images d’une violence barbare, jusqu’au personnage de Leatherface, masque inquiétant sur la gueule et perruque de grand-mère, qui gesticule en hurlant, la macabre tronçonneuse entre les mains alors que le soleil se lève à l’horizon. Inspiré du tueur en série cannibale Ed Gein, The Texas Chain Saw Massacre est tourné en quelques semaines avec un budget rudimentaire. Visant une exploitation la plus large possible, Hooper limite volontairement les effets gore. Il en résulte un spectacle plus malsain que sanglant qui décevra peut-être le public d’aujourd’hui sevré de bobines visuellement bien plus violentes mais qui conserve pourtant sa force choquante à laquelle participe une ambiance de plus en plus hystérique, des effets sonores idoines et des décors qui suintent l’effroi le plus dégueulasse.
Le réalisateur joue habilement du contraste entre des extérieurs paisibles et rassurants et des intérieurs morbides, théâtre crapoteux d’une boucherie innommable. Pour mesurer l’impact que Massacre à la tronçonneuse a eu, il convient de se replacer dans l’époque qui l’a vu naître. S’il s’inscrit dans le sillage d’Orange mécanique (1971), Délivrance (1972) ou La dernière maison sur la gauche (1972), cette deuxième réalisation de Tobe Hooper repousse alors clairement les limites de l’horreur dans ce qu’elle a de plus glauque. Le fait que les massacres soient suggérés et non montrés à l’écran ne les rend pas moins dérangeants, bien au contraire. Nous ne sommes pas prêts d’oublier ce congélateur poissé de sang ou la vue de Teri McMinn suspendue à un croc de boucher pendant que Leatherface bricole ses petites affaires, comprendre, qu’il découpe à la tronçonneuse le malheureux Jerry. Mètre-étalon de l’épouvante pelliculée, The Texas Chain Saw Massacre acquiert sa dimension de film d’auteur par son portrait d’une Amérique en proie au doute, abattue par la guerre du Vietnam et le Watergate. Cette famille de dégénérés est le bois mort du rêve américain et dont le capitalisme associé à la modernité a réveillé les pulsions les plus brutales et primitives. Qu’un des héros soit handicapé participe de cette amputation de la toute puissance américaine et un Leatherface grimé en femme au foyer, d’une forme d’émasculation. A ce titre, le repas de famille peut-être vu comme une parodie de la famille américaine idéale. Tobe Hooper ne fera jamais mieux que Massacre à la tronçonneuse car film d’horreur certes abominable mais pas que. cela. Un vrai film culte dont on se remet pas. (12.03.2024) ⍖⍖⍖
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