Assurance sur la mort incarne la quintessence du film noir américain, ce qu’il doit à plusieurs éléments. A sa narration tout d’abord qui bénéficie autant du talent de Raymond Chandler que de James M. Cain que le premier adapte. Plus que le flashback qui lui sert de trame et quoique le procédé soit à l’époque encore neuf (initié seulement trois ans plus tôt par le Citizen Kane de Orson Welles), c’est le fait que l’identité de la victime et surtout celle de son meurtrier soient dévoilées dès le prologue qui constitue la première originalité du film. Et contre toute attente, loin d’en rogner le suspense, ce désamorçage associé à l’usage d’une voix off donne plus de force encore à cette histoire d’amants maudits et assassins. Le ressort habituel des intrigues policières évacué d’entrée de jeu, le récit se concentre alors sur la mécanique meurtrière qui se met en branle, frappée de l’inexorable sceau de la fatalité. Les coups de théâtre ne manquent pour autant pas, qui concernent la personnalité vénéneuse et manipulatrice de Phyllis dont son complice découvrira qu’elle s’était déjà débarrassée de la précédente épouse de son mari et qu’elle a pour véritable amant un autre homme que lui, le propre petit copain de sa belle-fille ! Le plan une fois exécuté, le scénario dévie sur un cruel jeu du chat et de la souris qui, par sa modernité aussi jubilatoire que gourmande et parce que les coupables sont déjà connus du spectateur, n’est finalement pas sans évoquer les futurs enquêtes de l’inspecteur Colombo. La qualité d’écriture des trois principaux protagonistes n’est également pas étrangère à la réussite de Double Indemnity.
Affichant la banalité rassurante d’un terne courtier en assurance, Walter Neff n’est pas qu’un pigeon entre les griffe d’une femme fatale car il se révèle aussi roué que cette dernière, loin du benêt qu’il semble être. Phyllis est quant à elle une garce intégrale dans son immoralité. Le fait qu’elle soit blonde n’est alors pas anodin dans un cinéma américain qui associait encore cette couleur de cheveux à la pureté en opposition au mal que les brunes sont censées symboliser. Barton Keyes est le troisième côté du triangle, supérieur de Neff qui, tenace, flaire très vite la diabolique supercherie. Le film doit beaucoup aux trois comédiens qui les interprètent à contre-emploi. Habitué aux comédies, Fred MacMurray étonne agréablement dans le rôle trouble de Walter Neff. Du plomb pour l’inspecteur (1954) de Richard Quine confirmera que le polar lui sied mieux en définitive que les aimables divertissements qui lui sont associés. Exsudant un érotisme toxique, Barbara Stanwyck se montre tout aussi surprenante et magistrale, brisant les codes qui voulaient que les stars féminines (ou pas) ne jouent pas des personnages négatifs. Tous les deux forment un couple maudit légendaire. A contrario, Edward G. Robinson, éternel gangster des années 30 (Le petit César), se retrouve du bon côté de la loi. Billy Wilder, dont il ne s’agit que de la troisième réalisation, livre un travail d’une grande fluidité, s‘appuyant sur la photographie en noir et blanc de John Seitz, toute en contrastes (la maison espagnole des Dietrichson de plus en plus grignotée par les ténèbres au fil du récit) et la partition funèbre de Miklos Rozsa. Tous ces talents conjugués, devant et derrière la caméra, ne pouvaient qu’accoucher d'un admirable et envoûtant chef-d'œuvre. Dont acte. Le cinéma américain n’a jamais été aussi grand qu’à cette époque, auréolé d’une magie inégalée. (14.05.2024) ⍖⍖⍖⍖
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