La légende est connue. D’enfant chéri d’Hollywood grâce à Voyage au bout de l’enfer (1978), Michael Cimino rétrograde au rang de cinéaste maudit après La porte du paradis (1980), fiasco commercial qui coula la United Artists. Un purgatoire de cinq ans l’éloigne des studios qu’il retrouve à l’occasion de L’année du dragon que lui confie du puissant producteur Dino De Laurentiis pour le compte de la MGM. On devine que Cimino cherche à rassurer le monde du cinéma en prouvant qu’il peut mener à bien un projet dans le budget alloué et sans étirer le tournage. Quoi de mieux pour cela qu’un film policier à priori classique pour cela ? Proche de la noirceur de Police fédérale Los Angeles de William Friedkin, avec lequel il partage le titre de meilleur polar des eighties, L’année du dragon n’en reste pas moins une œuvre très personnelle qui porte la signature de son auteur, comme celle d’Oliver Stone, qui l’a aidé à adapter le roman de Robert Daley. Malgré son format plus modeste, il s’inscrit clairement dans la continuité de Voyage au bout de l’enfer et de La Porte du Paradis. Les cicatrices laissées par la guerre du Viet Nam (qui sont aussi celles du futur réalisateur de Platoon) évoquent le premier, l’affrontement haineux des communautés immigrées, le second.
Plongée dans un Chinatown plus labyrinthique que folklorique ou populeux, le film est avant tout le portrait de deux hommes qui sont les deux faces d’une même pièce, écartelés entre l’ombre et la lumière. Le caractère teigneux et raciste de Stanley White cache en vérité une grande détresse affective tandis que la férocité de Joey Tai n’est pas sans panache et élégance. Aucun des deux n’est vraiment sympathiques sans être détestables pour autant. Si, western urbain, il multiplie les morceaux de bravoure riche en douilles (la fusillade dans le restaurant, le duel final sur un pont Ferroviaire que nimbe un éclairage crépusculaire), L’année du dragon s’attarde en vérité longuement sur les tourments intimes de son héros, shérif cabossé ivre de puissance et de doutes. Nonobstant la mise en scène virtuose de Michael Cimino, le film n’échappe toutefois pas à certains écueils qui peuvent agacer. Il s’agit moins de son racisme supposé (il montre seulement que les communautés, trompées par de tenaces préjugés, se détestent toutes entre elles) que des histoires de cœur qui le ralentissent, peu convaincantes et très datées. Succès mitigé à sa sortie mais aujourd’hui auréolé d’un statut d’œuvre culte, Year Of The Dragon n’en laisse pas moins le goût amer du gâchis, d’une part pour Cimino qui ne réalisera ensuite plus que trois films (Le Sicilien, La maison des otages et Sunchaser), au surplus indignes de son talent, d’autre part pour Mickey Rourke dont la carrière tournera très vite court après cette prestation électrique, avec un mélange de force narquoise et de fragilité. (19.05.2024) ⍖⍖⍖
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