Jean Renoir - La femme sur la plage (1947)


A l’instar de nombreux autres cinéastes européens, Jean Renoir s’exile aux Etats-Unis pour fuir le nazisme. Il n’y restera qu’une dizaine d’années, incapable de s’adapter au fonctionnement des studios hollywoodiens qui, entamant sa liberté artistique, le mécontente. Six films, dont Vivre libre (1943) ou Le journal d’une femme de chambre (1946), verront toutefois le jour durant cette période mais aucune œuvre importante, à l’exception de L’homme du Sud (1945). Clôturant cette parenthèse américaine, La femme sur la plage illustre parfaitement cette expérience mitigée sinon décevante pour Jean Renoir, furieux de voir son travail défiguré par la RKO après que le film, dont le sujet lui a été imposé par surcroît, ait suscité un mauvais accueil lors de projections test. Une durée réduite à 68 minutes (!) et un goût d’inachevé confirment ce tripatouillage qui aboutit à un résultat fatalement plus proche d’un brouillon et que d’une œuvre achevée. De fait, à l’image de son happy end à laquelle on ne croit pas et qu’il a été contraint de tourner, A Woman In The Beach pâtit d’être écartelé entre ce que Renoir souhaitait faire (sans doute un drame passionnel un peu dans la lignée psychologique de Péché mortel ou de Lame de fond) et le film noir dicté par le studio, basé sur le (trop) classique trio amoureux avec femme fatale, mari diminué et amant sombrement viril peu à peu pris envoûté jusqu’à commettre un meurtre. 


En l’état, il reste malgré tout un film fascinant dont la force sexuelle qui couve dans ses replis révèle la réussite qu’il aurait pu être. Son intérêt puise dans ces trois personnages qui, hantés par des remords et les fantômes du passé, parviennent à échapper aux stéréotypes. Peggy n’est pas la garce qu’on s’attend à rencontrer, femme plus fragile qu’elle n’en a l’air dont on n’arrive pas à percer les desseins et qui doit beaucoup à la beauté atypique de Joan Bennett. Sa relation avec Scott, garde-côte traumatisé par le naufrage de son navire survenu pendant la guerre, est celle de deux solitudes. Le rôle de cet amant torturé est plus classique mais Robert Ryan lui injecte cette tension ténébreuse qui n’appartient qu’à lui. Quant au mari, il se montre insaisissable, peintre que la cécité rend vulnérable mais que Charles Bickford enrobe d’une force farouche presque brutale. En définitive, Une femme sur la plage se nourrit autant de son manque de moyens qui lui confère une atmosphère irréelle et poétique, ensablée dans cette plage battue par les vents, que de son traitement indécis entre film noir et drame intimiste. (10.07.2024) ⍖⍖⍖


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