Acid King, c'est du culte. Parce que le groupe s'active depuis trente ans désormais. Parce qu'il compte sans doute parmi les premiers bûcherons à avoir été emmenée par une gonzesse. Parce que justement, petit bout de femme qu'on imagine derrière le volant d'un gros Peterbilt, Lori S. figure parmi les prêtresses du riff graisseux. Parce que son stoner trempé dans l'huile de vidange et qui transpire l'Amérique très profonde alors qu'il est planté à San Francisco, est taillé pour être culte. Enfin parce que les Ricains se font (de plus en plus) rares, ce qui rend évidemment chacune de leur nouvelle bûche plus précieuse encore. Plus culte donc. Les années passent, l'âge aussi, et Acid King tend peu à peu à décoller de la terre ferme, de ce bitume que sillonnaient ses premiers albums. Ce glissement tectonique vers une musique moins stoner, plus doom et franchement psyché, déjà perceptible sur Middle Of Nowhere, Center Of Everywhere (2015) est affirmé par ce Beyond Vision dont, par les volutes brumeuses qui l'enrobent, semble presque être le fruit d'un autre groupe. Si la voix enfumée de Lori fonctionne comme une balise reconnaissable entre mille, il n'en demeure pas moins que ce cinquième effort (seulement !) largue totalement les amarres pour chatouiller le cosmos.
La pochette, la part des pistes instrumentales (quatre sur sept), la durée des titres qui n'hésitent pas à voisiner avec les huit minutes au jus et la nature même de ceux-ci, engourdis, parfois presque immobiles, derelict dérivant dans l'immensité nébuleuse de la voûte céleste, tout contribue à diffuser une atmosphère plus spatiale que jamais, et ce dès 'One Light Second Away' qui nous installe d'emblée dans une capsule duveteuse. Le chant aussi monotone que lointain de la maîtresse des lieux se prête d'ailleurs parfaitement à cette expression psychédélique. Les guitares sont néanmoins toujours bien plombées ('Beyond Vision') et la rythmique prisonnière d'une épaisse gangue terreuse. Reste que c'est finalement lorsque Lori se bâillonne et qu'elle ouvre les vannes d'une lourdeur à la fois pulsative et vaporeuse que l'album dresse une turgescence orgasmique, ce dont témoignent 'Electro Magnetic' et plus encore le terminal 'Color Trails' dont la dernière partie suinte une beauté irréelle qui confine à une moelleuse mélancolie. Nombreux seront peut-être ceux que ce chemin qu'empreinte désormais Acid King, décevra. Pas assez de riffs mazoutés et trop d'ambiances. Bref, ça manque de couilles et de poils. Pourtant, il est aussi permis de penser que Acid King a certes perdu en saleté bourrue ce qu'il a gagné en émotion stratosphérique. Donc, osons l'affirmer, nous préférons voir les Américains tutoyer le cosmos plutôt que de sucer l'asphalte ! L'attente en valait la chandelle, Beyond Vision s'impose comme un pur joyau de doom (un peu) stoner et (surtout) férocement psychédélique. (05.06.2023) ⍖⍖⍖
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