KröniK | Salò - L'appel du néant (2024)


Il y a des albums dont on devine d’emblée qu’ils vont laisser des traces, imprimer dans la chair de profonds stigmates, souiller l’âme et remuer les tripes à la manière d’une coloscopie brutale. Tel est ainsi le cas de L’appel du néant, premier long de Salò dont l’acte de naissance, le EP Sortez vos morts (2021), nauséeuse boule de haine corrosive, laissait craindre une suite plus âpre et perturbante encore. La voilà, et elle fait sévèrement saigner les muqueuses. La pochette, où figure une famille en train de regarder deux écrans de télévision, l’un rempli d’un œil grand ouvert, l’autre qui expose un homme qui s’enfourne un flingue dans la bouche, suffit à déranger, à créer un malaise, à diffuser l’ambiance ad hoc. Lancé par un extrait du film Irréversible de Gaspard Noé dont l’univers poissait déjà, ‘Un homme ça ne s’empêche’ remue le thème ô combien d’actualité des violences contre les femmes, éternelles proies sexuelles de prédateurs chez qui le consentement demeure encore un concept flou. On prédit que la défloration de L’appel du néant ne sera donc pas tellement agréable. Mais il faut dire que le monde que nous dépeint le quatuor de Cherbourg ne l’est pas vraiment non plus. En moins de quarante minutes, il ausculte les tumeurs qui rongent nos sociétés (pas si) modernes : nationalisme belliqueux, atrocité de la guerre, extrémisme, dérives autoritaires de nos démocraties qui cherchent à régimenter nos vies privées, à siphonner nos libertés individuelles etc. 


Tout y passé dans ce manifeste rageur que peuplent garçons toujours persuadés que les filles aiment être forcées, hommes politiques davantage mus par des considérations électoralistes que par une réelle volonté de changer les choses en un bestiaire peu reluisant. Pour fouiller ces plaies béantes, les quatre musiciens ont recours à divers types de scalpels. Samples de films ("Irréversible" donc mais aussi Baise-moi, Dupont Lajoie, La servante écarlate…), bribes de reportage (sur le massacre de Srebrenica), narration de 1984 enkystent ces saillies tuméfiées que régurgite le chant gorgé d’un fiel désespéré du bassiste HCT tandis que DLE (aka Damien Luce) répand avec ses machines une lèpre aux froides lueurs industrielles ('Libertés surannées’). Dans ce paysage chaotique, la présence de Diego (Karras) sur le titre ‘J’affronte la mort’ ou celle de Mütterlein, projet de Marion Leclercq (ex-Overmars), sur les deux punitions finales, n’étonne pas. Copulation aussi fiévreuse et ravagée entre crust et black metal, la musique constitue quant à elle la cuve pestilentielle où bouillonnent tous ces remugles. De cette œuvre au noir sans concession, radicale dans son absence d’espoir et d’une quelconque lumière jaillit pourtant presque une espèce de beauté glaçante, quoiqu’elle suinte une semence funèbre, comme l’illustre plus particulièrement ‘Et pourtant j’essaie’. Avec L’appel du néant, définitif et militant, Salò crache le méfait qu’on attendait de lui, condensé de tous les cancers  qui rongent nos sociétés dont il remue la fange la plus immonde. (21.02.2024 | MW) ⍖⍖⍖ 

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