CinéZone | Claude Autant-Lara - La traversée de Paris (1956)


La traversée de Paris, c'est déjà une scène, anthologique, celle où Jean Gabin (grandiose) hurle le nom de Jambier (Louis De Funès, dans un de ses premiers rôles importants) afin de faire monter le prix réclamé pour transporter à travers Paris des valises remplies de morceaux de cochon. La gueulante portée au rang d'art. C'en est une seconde, toute aussi cocasse mais plus cruelle, où Gabin (encore lui) lâche avec dégoût ce "Salauds de pauvres" face aux misérables clients d'un sordide bistrot et de ses médiocres tenanciers qui exploitent une petite juive et sont prêts à les dénoncer, Bourvil et lui, à la police en maraude dans la rue. On croirait ces dialogues savoureux et ces répliques d'une brutalité grinçante, l'oeuvre de Michel Audiard alors qu'ils sont dus à Pierre Bost et Jean Aurenche qui adaptent la nouvelle éponyme de Marcel Aymé. Une histoire simple : le périple nocturne de deux hommes dans le Paris occupé de 1942, chargés de livrer à un boucher un cochon dont les morceaux sont réparties dans quatre valises. En proposant une illustration assez juste des Français sous l'Occupation et d'une époque où le rationnement favorise le marché noir et les magouilles, le film rompt avec l'approche cocardière et héroïque jusqu'alors privilégiée par le cinéma. Nous sommes en 1956, la guerre, c'était donc hier. Avec un mélange d'ironie et de cynisme, Claude Autant-Lara brosse le portrait d'hommes et de femmes dans toute leur bassesse, leur veulerie, leurs peurs aussi. 


Ce ne sont pas des résistants mais des individus qui cherchent à survivre (au mieux) ou à gagner de l'argent (au pire), profiteurs ou erres pathétiques. C'est humain, plutôt bas et pas très héroïque mais tels étaient la majorité des Français, ni résistants ni collabos. Les frontières sociales sont brisées et les pauvres ne valent pas mieux que les riches dans la couardise pitoyable et l'opportunisme. Si Jean Gabin l'enrobe de sa gouaille tonitruante, de sa force charpentée, Grandgil n'est pas un héros. Il en  possède le courage mais n'hésite pas à user de sa position d'artiste apprécié des Allemands pour sauver sa peau. D'ailleurs, qui est-il vraiment ? Il surgit brusquement, les mains sales qu'il s'empresse de laver, comme pour effacer la preuve d'un quelconque et inavouable méfait. Tout l'oppose au pale Marcel Martin (Bourvil, magnifiquement humain), prolétaire que le danger effraie et qui tente de gagner quelques sous grâce au marché noir. Une amitié hésitante, maladroite, nait de cette traversée qu'aucune rédemption ne solde. Mais dans un Paris aux extérieurs quasiment expressionnistes et peuplé de détails insolites (les loups du zoo des Jardins des plantes qu'excite l'odeur de la viande), le film évoque aussi toute la solitude et la tristesse de ces années noires car derrière le rire et une peinture au vitriol très célinienne pointe une émotion cruelle comme lors de cette conclusion où Grandgil et Martin se retrouvent par hasard après la libération sur un quai de la gare de Lyon, le premier, homme libre qui jouit de la vie et de sa situation sociale, le second, simple porteur de valises (encore !) et toujours un de ces invisibles besogneux. Finalement, rien n'a changé. Un très grand film qu'il ne serait sans doute plus possible de réaliser de nos jours... (18.02.2023) ⍖⍖⍖⍖


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