S'il demeure associé à des œuvres souvent dramatiques peuplés de paumés qu'il nourrissait de sa propre personnalité tourmentée d'homme écorché (La meilleure façon de marcher, Série noire), Patrick Dewaere n'en pas moins coulé sa présence singulière dans quelques films plus commerciaux révélateurs néanmoins de ses idéaux de gauche, qu'il s'agisse de Adieu poulet (1976) , Le Juge Fayard dit le shériff (1976) ou Coup de tête (1978) qui tous abordent plus ou moins sérieusement la corruption et les magouilles politiques. Il n'est donc pas si étonnant de le retrouver dans Mille milliards de dollars où il campe un reporter intègre qui enquête sur l'emprise tentaculaire d'une multinationale américaine. Il est d'ailleurs cocasse de le voir ainsi endosser un rôle de journaliste alors qu'il venait d'être victime d'une cabale médiatique au moment de la sortie d'Un mauvais fils (1980). C'est Henri Verneuil qui l'impose alors que la profession se montre alors de plus en plus méfiante à l'encontre de l'acteur. Si le sujet leur tient à cœur à tous les deux, le film réussit avant tout comme un thriller efficace, finalement plus proche du film d'enquête à l'américaine dont il reprend l'happy-end obligée et surprenante ainsi que les relations stéréotypées entre Kerjean et sa femme (ils sont en instance de divorce mais finissent par se réconcilier), que du suspense paranoïaque à la française.
Certes moins sombre que les travaux de Costa-Gavras ou que d'autres thrillers tout aussi commerciaux mais plus kafkaïens que lui, comme Un papillon sur l'épaule ou Espion lève-toi, Mille milliards de dollars illustre non sans cynisme les ravages - déjà - de la mondialisation sauvage, dénonçant le pouvoir sans frontières de firmes devenues plus puissantes que les Etats et dont les salariés ne sont que des pions sur un vertigineux échiquier. Plus sobre qu'à l'accoutumée, Dewaere est parfait, démontrant une facette inédite de son talent dont on peut penser qu'elle aurait pu s'épanouir, se renforcer par la suite, si son suicide, survenu quelques mois plus tard, n'avait précocement mis fin à une carrière que de nombreux grands rôles auraient sans aucun doute encore enrichie. Mise en scène impeccable, distribution quatre étoiles (outre Dewaere, citons Mel Ferrer, glacial en président de G.T.I., Charles Denner, Michel Auclair, Jacques François, Jeanne Moreau, Anny Duperey ou Caroline Cellier sans oublier Jean-Pierre Kalfon : du solide), Mille milliards de dollars honore ce savoir-faire du cinéma français des années 70/80. (03.04.2023) ⍖⍖⍖
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