Richard Wallace fait partie de ces solides besogneux qui n'ont suscité aucune chapelle, aucun culte. D'une carrière entamée en 1925, les cinéphiles se souviennent surtout des derniers films, Nid d'espions (1943) avec Maureen O'Hara et John Garfield ou les trois réalisés en 1947 : Traquée avec Glenn Ford, Sinbad le marin (encore avec Maureen) et Taïkoun. Plus gros budget alloué par la RKO, celui-ci dévide le genre d'histoire dont les Américains sont particulièrement friands : la construction dans les Andes d'une voie ferrée dont le chantier est le théâtre de nombreux accidents. Mais curieusement à ce puissant thème messianique qui présente les Américains comme celui qui acheminent progrès et civilisation dans les contrées les plus dangereuses, se greffe un autre sujet, la relation amoureuse entre l'ingénieur et la fille de l'industriel qui finance le projet et qui bien entendu n'approuve pas du tout cette union. Là se situent à la fois la faiblesse et la force de Taïkoun dont l'intérêt ne se niche finalement pas où on pense le trouver. Faiblesse car le film échoue par manque de souffle et d'ampleur comme grand spectacle plein de puissance et de drame. Il faut ainsi attendre la dernière bobine qui voit le pont de chemin de fer résister à un fleuve en crue pour que la tension s'emballe enfin. Ce qui explique sans doute le cuisant échec commercial qu'il rencontrera.
Mais force également car Taïkoun expose des personnages fort bien écrits et parfaitement endossés. John Wayne démontre qu'il vaut mieux que son image de cowboy (faussement) monolithique, dans la peau de cet ingénieur dont le vernis gaillard et chaleureux s'écaille face aux épreuves révélant un caractère dur et parfois détestable. La bravoure dont il fera preuve en affrontant la catastrophe lui permettra cependant de regagner l'estime et le respect de ses hommes et de sa femme. Cette dernière est interprétée par Laraine Day, actrice qui demeure trop méconnue alors qu'elle a pourtant joué pour Hitchcock (Correspondant 17) ou Cecil B. DeMille (L'odyssée du docteur Wassell). Plus belle que jamais grâce au Technicolor qui magnifie l'émeraude de ses prunelles et des tenues qui changent à chaque apparition, elle se révèle parfaite avec un mélange de douceur et de ténacité, coincée entre un père possessif et un mari qui ne sait pas l'aimer. Dans le rôle de ce père trop protecteur, Sir Cedric Hardwicke distille selon son habitude sa morgue distinguée sans être le méchant attendu. Dans l'absence de vilain ou de canaille (Anthony Quinn n'en est même pas une !) réside d'ailleurs une autre particularité de ce film. Citons enfin dans les personnages de second plan les impeccables James Gleason et Judith Anderson en chaperon étonnamment compréhensive. Trop classique et timide en terme d'action, Taïkoun n'en reste pas moins un film solide, le scénario bétonné par le chevronné Borden Chase, le charme de ces décors de studio et d'un technicolor rutilant en sus. (17.07.2023) ⍖⍖
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