Après L’enfance nue (1969) et la série La maison des bois (1971), Maurice Pialat signe Nous ne vieillirons pas ensemble dont il n’a jamais caché la dimension autobiographique. Il y filme une histoire d’amour agonisante entre un cinéaste au caractère colérique et sa maîtresse qui s’éloigne peu à peu de lui. Pialat trouve en Jean Yanne son parfait alter ego. L’acteur se révèle remarquable dans la peau de ce mâle odieux et renfrogné dont la goujaterie masque pourtant une fragilité empreinte de mélancolie. On n’imagine guère un autre que lui pour cracher au visage de sa partenaire de telles saloperies phallocrates, d’abord lors du tournage où il l’engueule en l’humiliant au milieu de la foule, plus tard dans sa bagnole, la rabaissant avec une brutalité plus grande encore. Bien que ce type de rôle immonde lui collera toujours à la peau depuis Que la bête meure (1969) de Claude Chabrol, Jean Yanne haïssait ce personnage abject que sa relation houleuse avec Pialat a rendu plus pénible encore à endosser. Raison pour lesquelles, il n’alla pas chercher le prix que le festival de Cannes lui décerna. Avec ce mélange de vulgarité et de tendresse qui n’appartient qu’à lui, il incarne cet homme complexe dont on ne parvient jamais tout à fait à percer la carapace.
Est-ce parce qu’il l’aime sincèrement que Jean ne peut accepter de voir Catherine le quitter ou bien est-ce parce que cette séparation le blesse dans toute sa virilité orgueilleuse ? Avec son naturel coutumier, Marlène Jobert dans son plus beau rôle lui tient la dragée haute, illustrant la lente métamorphose de cette jeune femme qui prend conscience que sa vie n’est pas avec cet homme qui sans cesse la rabaisse et tente, trop tard, de la (re)conquérir. Avec un admirable sens de l’épure fait de plans séquence et de plans fixes, Pialat fouille les alvéoles de cette histoire d’amour chaotique, qui oscille entre disputes et réconciliations en un canevas heurté et volontairement répétitif (comme dans la vie) et trouve dans l’intérieur de la voiture de Jean le réceptacle cathartique. Passés les fracas de la première partie, le film capte ensuite la lente mais inexorable érosion de ce couple que Jean, pathétique et malheureux, essayera désespérément de recoller. Vidé de tout romantisme, Nous ne vieillirons pas ensemble est une œuvre cruelle dans son réalisme sans fard dont les ultimes images de Catherine s’amusant dans la mer illustrent ce bonheur cassé à tout jamais par celui qui les a probablement filmées… (18.03.2024) ⍖⍖⍖
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