Lorsqu’il tourne Le reptile, Joseph Mankiewciz a 61 ans. Il est donc un metteur en scène vieillissant dont la carrière au surplus connaît un quasi coup d’arrêt depuis l’échec de Cléopâtre (1963). Pourtant, alors que d’autres cinéastes de sa génération tels que Henry Hathaway, Edward Dmytryk voire même Howard Hawks, échouent à s’adapter aux mutations qui travaillent alors le western dans le sillage des bandes italiennes ou des cartouches de Sam Peckinpah ou d’Arthur Penn, lui parvient au contraire à réaliser un western de son temps dont la vitalité ne trahit à aucun moment l’âge déjà respectable de son auteur. Peut-être tout simplement parce qu’il n’est pas un spécialiste du genre, qu’il aborde donc à la manière d’une page blanche. De fait, Le reptile semble être le film d’un jeune homme, à cela prêt que son cynisme ne peut être que celui d’un fin connaisseur de l’âme humaine dont il ne se fait plus aucune illusion. En cela et bien qu’il ne soit pas l’auteur du scénario (écrit par le tandem Robert Benton et David Newman), cet avant-dernier film de Mankiewicz porte incontestablement sa griffe. Néanmoins, on peut trouver étonnant qu’il s’aventure dans ce registre westernien très éloigné de son univers. Mais outre le fait, qu’il a touché à de nombreux genres, du péplum (Cléopâtre donc mais aussi Jules César) à la comédie musicale (Blanches colombes et vilains messieurs), de l’espionnage (L’affaire Cicéron) au fantastique gothique (Le château du dragon), c’est pour mieux le dynamiter que le réalisateur s’empare du western. Il ne faut ainsi pas attendre de lui coups de feu et indiens survoltés.
Il y a d’ailleurs très peu d’action dans There Was A Crooked Man, rompant en cela avec une certaine évolution du genre héritée des Pour une poignée de dollars et consorts. D’ailleurs, s’agit-il vraiment d’un western ? N’est-ce pas plutôt une comédie comme le suggèrent à la fois son générique et la première séquence entre ce vol à main armée farfelu et ces domestiques noirs bien loin des images d’Epinal fixées par Autant en emporte le vent. Goguenard et joyeusement cynique, Le reptile embarque deux vétérans de l’âge d’or d’Hollywood dans des rôles à contre-emploi. Kirk Douglas, que Mankiewicz avait déjà dirigé à l’occasion de Chaînes conjugales (1949) et qu’on admire pour la dernière fois dans une œuvre majeure, campe un bandit manipulateur qui prend la tête des prisonniers d’un pénitencier non par sympathie pour ceux-ci mais pour mieux les utiliser afin de pouvoir s’évader. Sa mort après avoir été mordu par un serpent à sonnette glissé dans son magot, demeure inoubliable. Face à lui se dresse Henry Fonda en ex shérif soucieux d’appliquer des méthodes progressives dans cette prison. Droit et honnête, il n’en décide pas moins garder pas le butin en conclusion délicieusement immorale. Mais les second rôles, nombreux, ne sont pas en reste, tous très écrits et incarnés de Warren Oates en balance à Burgess Meredith en vieux sage, de Hume Cronyn et John Randolph en savoureux couple d’homosexuels, sans oublier Gene Evans, Alan Hale Jr. ou Bert Freed en maton amateur de jeunes éphèbes ! Certes jouissif, Le reptile n’est donc pas tellement un western comme les autres, ce qui explique sans doute son échec commercial, bien qu’il s’apparente aux westerns démythificateurs à la mode. Il reste pourtant une des plus belles réussites du genre des années 70. Mankiewicz devra cependant patienter jusqu’au Limier (1972), son testament, pour retrouver sa place, parmi les maîtres du 7ème art... (01.04.2024) ⍖⍖⍖
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