A première vue, Légitime violence ressemble à un revenge movie de série B, simple et efficace, ce qu'il est en effet mais pas seulement. De retour du Vietnam, un héros de guerre se fait torturer par des voleurs qui le détroussent et abattent sa femme et son petit garçon. Armé d'un crochet remplaçant sa main droite passée au broyeur, il entame alors une quête vengeresse qui s'achèvera dans le sang par un règlement de compte final dans un bordel dont la violence sèche et poussiéreuse le rapproche des carnages soldant La horde sauvage (1969) et surtout Guet-apens (1972) de Sam Peckinpah. Mais Rolling Thunder se double aussi d'un portrait désenchanté de ces héros de la guerre du Vietnam incapables de se réinsérer totalement dans la société pour y vivre normalement. Cette réflexion sur le traumatisme des militaires de retour du front porte la griffe obsessionnelle de Paul Schrader qui a scénarisé le film. Après Yakuza (1975) de Sydney Pollack, Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese et Obsession (1976) de Brian De Palma qui l'ont imposé comme un scénariste au style très personnel, il s'agit de son dernier travail avant de franchir le pas de la réalisation avec le succès que l'on sait et une identité toujours extrêmement prégnante (Blue Collar, Hardcore, American Gigolo...). Longtemps prisonniers au Vietnam, Charles Rane et Johnny Vohden ne sont plus vivants, ce sont des morts, presque des vampires, les yeux cachés derrière les verres fumés de leurs lunettes, que seuls l'action et le sang finissent par réanimer. Terré dans sa chambre, le Major continue de reproduire chaque jour les exercices physiques qu'il exécutait dans sa cellule, comme s'il ne parvenait pas encore à s'arracher à ces années de captivité. C'est sans dans les tortures subies qu'il puise sa force voire même une forme de sacrifice qui confine à une jouissance morbide (cf. la scène de la main broyée).
Complexe et plus subtil qu'il n'y parait, Rane se révèle être un homme ombrageux et mutique dont les lunettes de soleil agissent comme une barrière, une frontière entre lui et les vivants. Séduit par une jeune groupie qu'il embarque dans sa chasse meurtrière, il se montre inapte à lui offrir un amour réciproque. Acteur très sous-estimé en raison de sa participation à la série Côte Ouest, William Devane l'incarne avec une puissance taciturne étonnante qui nous fait regretter que le cinéma ne l'ait pas davantage - et mieux - utilisé. Ce rôle, sans doute son meilleur, additionné à ceux interprétés dans Marathon Man de John Schlesinger et Complot de famille d'Alfred Hitchcock, tous deux réalisés en 1976, auguraient ainsi d'une carrière plus intéressante dont la dernière partie le verra toutefois collaborer avec Paul Verhoven (Hollow Man) ou Clint Eastwood (Space Cowboys). A ses côtés, on reconnaît un Tommy Lee Jones, fiévreux à souhait, dans une de ses premières apparitions sur grand écran tandis que l'oubliée Linda Haynes lui oppose une forte présence dont nous aurions aimé qu'elle l'a décline dans d'autres films plutôt que de renoncer au métier de comédienne... Auteur d'une poignée de bobines noires et rugueuses comme on les affectionne (Le sergent, Echec à l'organisation ou plus tard et dans une moindre mesure Haute sécurité) qui ont fait de lui un technicien habile à défaut d'être un auteur même s'il a depuis été redécouvert grâce à Quentin Tarantino qui, en grand fan de Légitime violence, a baptisé son éphémère société de distribution Rolling Thunder Pictures, John Flynn livre une mise en scène percutante dans les moments les plus violents, sensible pendant les tête-à-tête entre William Devane et Linda Haynes. Un vrai film culte. A raison. (10.05.2022) ⍖⍖⍖
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