James Stewart est un immense acteur. Il peut incarner à la fois le héros plein de gentillesse et de timidité, défendant les valeurs de l'Amérique, chez Capra (Monsieur Smith au sénat), ou bien être l'Américain moyen chez Hitchcock (L'homme qui en savait trop). Mais derrière ce visage lisse peuvent se cacher de terribles tourments. C'est dans le western et surtout avec Anthony Mann que cette facette de l'acteur se trouve mise en valeur. Tous les deux ont tourné ensemble cinq westerns, de Winchester 73 (1950) à L'homme de la plaine (1955), association pouvant atteindre des sommets avec Les affameurs (1952) et L'appât (1953). James Stewart n'a peut-être jamais paru aussi torturé que dans ce dernier. Tous ses actes sont commandés par une obsession qui le domine entièrement. Mû par la vengeance, il veut ramener coûte que coûte Robert Ryan et toucher la prime. Toutefois, il n'est pas le seul à être parcouru par de sombres sentiments. En réalité, aucun des cinq personnages qui vivent cette aventure ne sont vraiment nets, ce qui est une constante chez Anthony Mann. Loin des clichés inhérents au genre, les protagonistes de The Naked Spur s'avèrent ainsi tous plus ou moins tordus. Même le personnage féminin s'écarte des stéréotypes habituels.
En effet, Janet Leigh ne joue pas les utilités de charme. Avec son physique de garçon manqué, elle s'accroche à Robert Ryan comme s'il s'agissait de son père ou d'un grand frère en une relation ambigüe. Est-ce de l'amour ? De l'amitié ? Rien n'est certain. Le film se concentre donc sur une poignée d'individus à la personnalité fouillée à et à l'identité marquée, ayant chacun une motivation particulière. Au gré de moult péripéties dans de magnifiques décors naturels dont le caractère escarpé agit comme une métaphore de la sinuosité des personnages et de leur trajectoire, le récit prend la forme d'un véritable parcours initiatique, notamment pour le héros campé par James Stewart qui va peu à peu cesse de vivre dans le passé (sa femme défunte) et se détacher de son obsession. En cela, la scène finale, quand il retrouve sa dignité d'homme dans les bras de Janet Leigh est inoubliable. Avec Le Cid (1961) dans un autre registre, L'appât constitue probablement le chef-d'œuvre de Anthony Mann, celui où sa maîtrise s'avère la plus totale. Jamais il n'a aussi bien combiné la magnificence des éléments naturels avec des héros dont les tourments confinent à l'obsession. Tout Mann se retrouve dans ce film qui représente enfin un des sommets du western. (23.07.2022) ⍖⍖⍖⍖
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