On peut reprocher beaucoup de choses à Nadja, duo culte canadien fondé en 2003 autour de Aidan Baker et Leah Buckareff : que sa discographie, entre opus officiels, 7’EP, split (avec Moss) et rééditions diverses, tend à devenir chaque mois un peu plus bordélique ; que le couple usine une vingtaine de sortie par an ; que tous les albums finissent par se ressembler au point de donner l’impression que Nadja reproduit à chaque fois la même trame. Nadja n’est pas une question de raison, mais une question de foi. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement quand on joue constamment les équilibristes le long de la ligne ténue qui sépare le génie du foutage de gueule, la transe métaphysique de la chiantise absolue ? Comme pour ses (très nombreux) prédécesseurs, la beauté hypnotique de Bliss Torn From Emptiness, que le duo avait au départ enregistré en 2005 sous la forme d’un CDr, échappera certainement à la majorité d’entre-vous. A sa charge, il faut reconnaître que Nadja ne facilite pas l’accès de son univers à n’importe qui, avec ses longues plages à l’architecture quasi instrumentale, que fissure parfois un murmure féminin lointain, et démunies de titre pour se repérer. Dans ses condition, privés de balises, il ne nous reste plus que la musique, ou plutôt le son, les sons même, que forgent les deux musiciens. Car parler de musique semble presque absurde dans le cas de Nadja. S’enfonçant dans les méandres du drone (forcément) aux confins de l’ambient, leur art se révèle parfois plus proche du bruit d’un réacteur que d’une chanson rock.
A l’origine, Bliss Torn From Emptiness n’était constitué que d’un unique morceau de 48 minutes environ ; étiré de quelques minutes supplémentaires, il est aujourd’hui subdivisé en trois segments aux limites floues, magma bourdonnant et indescriptible aux pulsations noires et obsédantes. Mais ne vous y trompez pas, cette division n’atténue en rien le caractère fusionnel de l’ensemble qui ne doit être appréhender que dans sa globalité, bande-son guidée par une construction cyclique, trafiquée et polluée par des strates de bruits et atmosphères propices à l’introspection. Si le premier d’entre-eux, long crescendo qui explose dans sa seconde partie en un pandémonium sonore est une très longue pièce envoûtante, le second s’avère d’un monolithisme absolu cependant que le dernier se nourrit des relents du premier. On peut donc reprocher beaucoup de choses à Nadja. Sauf une : la puissance phénoménale, écrasante, digne d’un colosse ou d’une centrale nucléaire que leur musique (car c’est bien de cela qu’il s’agit) dégage, véritable mur du son justement, imprenable. Guitares saturées, machines, batterie organique se fondent en un bloc gigantesque et monstrueux. Unique et d’une beauté vertigineuse. (22.05.2008) ⍖⍖⍖
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