Si Les yeux de Laura Mars (1978), le James Bond non officiel Jamais plus jamais (1983) et surtout L'empire contre-attaque (1980) lui ont fourni ses plus gros succès commerciaux, il est néanmoins permis de penser que Irvin Kershner aurait pu (dû) avoir une carrière plus intéressante sinon personnelle. Ses premiers films annonçaient ainsi une œuvre plus exigeante, ancrée dans le nouveau cinéma des années 60. Cela est particulièrement net avec le méconnu The Luck Of Ginger Coffey. Suivant la trace d'un immigrant irlandais au Canada, son cinquième long-métrage, d'une glaciale épure, pourrait porter la signature d'un Karel Reisz ou d'un John Schlesinger alors même que Kershner est américain. Le recours au noir et blanc, les décors authentiques tâchés d'une mélancolie sinistre, ses deux principaux comédiens et son sujet à dimension sociale participent de l'influence du free cinema qui imprègne ce film très curieux.
Grâce à l'immense Robert Shaw, dans un rôle ardu comme il les affectionne (Le concierge, La méprise) et comme son titre le suggère par ailleurs, The Luck Of Ginger Coffey évite de sombrer dans la déprime, drame doux-amer qui témoigne pourtant de la difficile intégration des immigrants. Aux rues enneigées et aux appartements miteux s'oppose l'opiniâtreté de ce héros attachant qui traverse cette histoire cruellement banale entre difficulté à trouver un emploi digne et une épouse qui aspire à une autre vie. La dernière scène, quasi muette, où Ginger et Vera se retrouvent, elle laissant la porte ouverte de son logement comme pour signifier leur nouvelle union, lui dont le regard trahit tous ses espoirs et sa joie, est bouleversante. Cette conclusion, sobre et touchante, scelle leur réconciliation et l'avenir d'une vie qui n'est peut-être pas celle à laquelle ils rêvaient mais qui leur permettra d'être heureux. Face à celui qui partage aussi sa vie, Mary Ure livre une présence forte, mélange de tendresse et de ténacité. (02.10.2023) ⍖⍖
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