On a parfois tendance à l’oublier mais la carrière de William Friedkin n’a pas démarré avec French Connection en 1971. Trois films l‘ont en effet précédé : Good Times en 1967, une comédie musicale (?) avec Sonny and Cher, L’anniversaire en 1968 et Les garçons de la bande deux ans plus tard. Bien qu’il ne soit pas si éloigné que cela de ses propres thématiques, de ses propres angoisses, The Birthday Party porte avant tout la marque d’Harold Pinter, qui adapte pour l’occasion une de ses pièces de théâtre qui, en 1958, n’a d’ailleurs rencontré aucun succès. La signature du dramaturge tient autant à la forme qu’au fond. La forme car jamais le film n’échappe de son origine théâtrale, quand bien même Friedkin fournit un travail de mise en scène extrêmement précis, riche de discrets mouvements de caméra et multipliant plongées et contre-plongées qui participent d’une ambiance étouffante dont la teneur cauchemardesque va crescendo. Au vrai, loin de l’affaiblir, cette incapacité à s’affranchir de son cadre originel rend le film plus vicié et anxiogène encore, huis clos claustrophobique aux confins de la folie. Dans le fond ensuite, L’anniversaire est porteur de toutes les obsessions de l’auteur d’Accident dont celle des rapports de domination infuse toutes les créations. On pense ainsi à The Caretaker avec lequel il noue de nombreux liens : même unité de lieu, même trio de personnages dont l’un, la victime, est persécuté, humilié, par les deux autres. Même abstraction enfin qui impose un décalage entre le récit et la réalité.
Tout est décalé en effet dans cette histoire bizarre, entre l’horreur qui se joue et la localisation de cette pension de famille plantée au bord de la mer. Entre cet intérieur crasseux aux allures de porcherie, théâtre d’un affrontement funeste et un extérieur ensoleillé. La réalité semble s’arrêter sur le pas de la porte de cette baraque dont on ne voit que les entrailles. Décalage enfin entre les protagonistes de ce drame dont les interactions touchent à l’absurde. Les dialogues n’ont parfois aucun sens et les réactions de ces gens étranges non plus. Comme souvent avec Pinter, The Birthday Party n’est pas tellement agréable à regarder, œuvre difficile propice aux nombreuses interprétations. S’agit-il d’une allégorie sur le totalitarisme et le nazisme en particulier ? Le cheveux noir et crépu, la chemise à rayures sales rentrée dans un pantalon usé, Webber pourrait être juif. Comme Nat Goldberg dont certains mots qu’il emploie ne trompent pas (mazel tov, mensch). Les scènes où le salon est plongé dans une obscurité que déchire le faisceau d’une lampe torche évoquent au surplus davantage un interrogatoire qu’une fête d’anniversaire. Comme dans Le concierge, on ignore tout de ces individus. Qui est réellement Webber ? Pourquoi a-t-il échoué dans cette pension de famille miteuse ? Que fuit-il ? De quel crime s’est-il rendu coupable ? Golberg et McCann qui viennent le chercher dans son quotidien sordide, semblent travailler pour une mystérieuse organisation. Mais ne sont-il pas en vérité des anges de la mort ? Leur voiture, noire comme un corbillard, le suggère en tout cas. Grand admirateur de Harold Pinter dont le style imprègne nombre des films dans lesquels il a joué, du Concierge évidemment à Deux hommes en fuite en passant par Les brutes dans la ville et La méprise, Robert Shaw livre une performance remarquable dans la peau de ce Webber derrière lequel il s’efface totalement, à tel point qu’on finit par oublier que c’est lui qui l’interprète. Face à lui, Patrick McGee ne fait pas dans la demi-mesure (comme toujours) mais le peu connu Sydney Tafler, tout en onctuosité cruelle, impressionne en Goldberg quasi maléfique. Jalon méconnu dans la carrière de William Friedkin, L’anniversaire est à (re)découvrir de toute urgence. (08.11.2023) ⍖⍖⍖
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