En exagérant un brin, il n’est pas interdit d’affirmer que Steven Spielberg ne fera plus jamais aussi bien que Les Dents de la mer. Plus respectable sans aucun doute (La liste de Schindler) mais mieux, certainement pas. Croisement entre Alfred Hitchcock (Psychose, Les oiseaux, évidemment) et le film catastrophe alors encore à la mode (La tour infernale) mais que les George Lucas et Spielberg justement ne tarderont plus à ringardiser, Jaws est un modèle de suspense et d’horreur sur pellicule, ce qu’il est toujours encore, cinquante ans après, même s’il est certain qu’un jeune public qui le découvrirait aujourd’hui sera très certainement déçu par son déficit en scènes gore. Celle qui voit Robert Shaw cruellement glisser dans la gueule du squale, béante comme un four, est pourtant épouvantable. Le requin, figure monstrueuse de l’inconscient collectif, s’avère finalement peu présent à l’écran mais son aileron, les barils jaunes qu’il traine dans son sillage à la fin et surtout les quelques notes imaginées par John Williams, obsédantes et inoubliables, qui annoncent son approche, suffisent à distiller la peur. Adapté d’un mauvais roman à succès de Peter Benchley, le film se divise en deux parties bien distinctes. A la première centrée sur la terreur que sème le Grand Blanc sur les plages d’une petite station balnéaire à la veille de la fête nationale succède une seconde, véritable huis clos marin évoquant Le vieil homme et la mer, où les trois héros affrontent la bête, d’abord chasseurs avant d’en devenir la proie. L’intrigue se resserrent alors autour de trois antagonismes.
Le flic, qui n’est pas un insulaire (donc un étranger) et a peur de l’eau de surcroit, le scientifique issu d’un milieu privilégié qui incarne l’intellect et le vieux loup de mer qui a bourlingué et participé à la guerre du Pacifique (très beau moment où il raconte le naufrage de l’USS Indianapolis après avoir livré les bombes atomiques qui raseront Hiroshima et Nagasaki). Dans la carcasse de ce pêcheur grande gueule, Robert Shaw est grandiose. Il y a en lui du capitaine Achab (Moby Dick) dans son obsession à détruire le requin jusqu’à la folie. Il a le grand rôle du film face à Roy Scheider et Richard Dreyfuss qui peut être vu comme l’alter ego de Spielberg dont il ressemble physiquement. On peut trouver timide la critique de l’Amérique et de ces notables pour qui l’argent prime sur la sécurité des gens mais Les dents de la mer n’a d’autre but que de diffuser l’effroi d’une façon efficace et spectaculaire. Il incarne en cela, deux ans après le triomphe de L’exorciste de William Friedkin, la matrice des blockbusters à l’américaine, inspirant trois suites sans grand intérêt et de multiples ersatz (Piranhas…) qui verront à peu près tous les animaux de la création attaquer soudainement les pauvres humains. A noter enfin qu’à l’occasion d’une nouvelle édition DVD en 2005, la version française a été massacrée par un inutile redoublage or pour tous les cinéphiles, Robert Shaw, Roy Scheider et Richard Dreyfuss auront toujours respectivement les voix françaises et reconnaissables entre mille de André Valmy, Jacques Thébault et Bernard Murat dont on ne soulignera jamais assez ce que tous les films des années 50 à 80 doivent à eux et à tous les autres doubleurs (tel Jean-Claude Michel plus particulièrement)…. (03.01.2024) ⍖⍖⍖⍖
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