Bien qu’il ait signé quelques films importants du cinéma français des années 80 (Un jeu brutal, De bruit et de fureur ou le succès commercial Noce blanche), Jean-Claude Brisseau est désormais voué aux gémonies et sa mort en 2019 accueillie avec une indifférence gênée. En cause, sa condamnation en 2005 pour harcèlement et agressions sexuelles, conclusion d’une plainte déposée par deux actrices (dont Noémie Kocher) qu’il avait auditionnées lorsqu’il préparait Choses secrètes (2002). Blessé, il confie sa version des faits en décrivant ses méthodes de travail dans un livre (romancé) dont il tire ensuite Les anges exterminateurs en 2006. Celui-ci forme avec Choses secrètes puis A l’aventure, tourné trois ans plus tard, une trilogie où il explore le plaisir sexuel féminin en une quête obsessionnelle pour en percer le mystère. Il n’est pas certain toutefois que ces films suffisent à dédouaner Jean-Claude Brisseau du comportement licencieux dont il a été accusé, tant ils semblent confirmer au contraire pour ses détracteurs sa fascination perverse pour les accouplements saphiques qu’il illustre jusqu’à l’excès et le pousse à organiser des auditions au voyeurisme malsain. Au surplus, sa vision de l’orgasme féminin demeure très masculine, bien qu’elle lui inspire dans Les anges exterminateurs des scènes plastiquement très belles dont la sensualité tamisée suscite désir et excitation. Magnifiant la femme et son corps, il capte avec un doigté rare, silencieux et diffus, la montée du plaisir.
Pour autant, il serait à la fois injuste de dénier au film un certain féminisme et réducteur de ne voir en lui qu’un jeu érotique, aussi troublant soit-il, destiné à assouvir les pulsions de son géniteur. Frédéric van den Driessche interprète François, évident alter ego du cinéaste (lequel prête d’ailleurs sa voix au narrateur et surgit rapidement à l’écran), qui souhaite tourner un film sur le plaisir féminin (on devine qu’il s’agit de Choses secrètes). Pour cela, il auditionne des jeunes femmes qui la plupart refusent. Trois d’entre elles (dont la fidèle Lise Bellynck qui exsude le vice par tous les pores) finissent toutefois par accepter, auxquelles il demande de se masturber, se caresser et faire l’amour devant lui, au restaurant puis dans une chambre d’hôtel. Elles sont les anges exterminateurs qui le conduiront à sa perte. A moins que le titre du film ne se réfère aux figures fantomatiques qui observent et président à la vie du réalisateur en un symbolisme néanmoins aussi maladroit qu’embarrassant. Mise en abyme souvent envoûtante où se mêlent réalité et fiction, autobiographie et fantasmes, l’œuvre s’achève finalement sur la violence et la mort, comme une punition expiatoire pour Jean-Claude Brisseau. Cherchant à déflorer les mécanismes du plaisir féminin et les raisons tant morales que sociétales qui les couvrent d’un tabou toujours prégnant, Les anges exterminateurs est un beau film érotique plus cérébral voire surréaliste que transgressif, âtre brûlant des obsessions de son auteur. (19.06.2024) ⍖⍖
Commentaires
Enregistrer un commentaire