John Huston - Quand la ville dort (1950)


Criminel respecté fraîchement sorti de prison, « Doc » Riedenschneider échafaude le cambriolage d’une bijouterie qui devrait rapporter un demi-million de dollars. Pour se faire, il recrute une petite équipe et s’associe à un avocat véreux pour liquider le butin. Mais une succession d’incidents et les failles de chacun des protagonistes viendront gripper une mécanique pourtant élaborée avec minutie. Une dizaine d’années après avoir offert au film noir une de ses œuvres matricielles et contribué à façonner le mythe Humphrey Bogart avec Le faucon maltais, John Huston renouvelle le genre avec Quand la ville dort en axant cette fois-ci le récit autour de la thématique du casse dont il fixe d’emblée les codes aussi bien narratifs que dramatiques (la constitution de l’équipe, l’exécution et la traque des voleurs par la police). Néanmoins, et nonobstant sa réalisation au cordeau qui a certainement inspiré Jean-Pierre Melville pour Le cercle rouge (comme celle du témoin invité par la police à identifier Sterling Hayden a sans doute servi de modèle au Samouraï), le cambriolage en tant que tel parait presque secondaire. Il n’est pas une fin en soi mais plutôt un moyen pour ces hommes perdus qui voient dans ce gros coup une issue pour s’échapper à la fois de cette ville qui les emprisonne mais aussi d’une vie qui les aliène. De fait, l’action intéresse moins John Huston que la description psychologique de ses personnages qui évoluent dans une urbanité expressionniste et cherchent tous à fuir quelque chose. En cela, le titre français, très beau au demeurant, résume mal le propos car cette ville ne dort pas la nuit, théâtre d’une humanité grouillante qui manigance de mauvais coups. De quelle ville s’agit-il d’ailleurs ? Nous l’ignorons. Le cinéaste préfère l’abstraction pour l’ausculter et la décrire comme une jungle de béton (selon le titre original) tout en atmosphère sordide que peuplent des hommes et des femmes dont aucun n’est vraiment ce qu’il semble être. Si son nom et son accent germanique lui donne un air mystérieux en jouant sur l’image inquiétante de l’Allemand (nous ne sommes que cinq ans après la guerre), Ridenschneider est en fait un homme tout à fait charmant. Sous ses airs de brute, Dix ne rêve que de retrouver la ferme de son enfance qu’il associe à un fragile bonheur. A contrario, l’apparence de respectabilité que cultive Emmerich cache une existence crapuleuse. 


De sorte que ce n’est pas le bien qui s’oppose au mal mais l’honneur contre la traîtrise. Le doc et sa bande sont des hommes droits et loyaux face à cet échantillon de veulerie que constituent flic ripoux, bookmaker lâche, notable louche et poule entretenue qui n’hésite pas à lâcher celui qui l’entretient. A ce titre, les femmes jouent un rôle essentiel dans cette tragédie, certaines, témoins impuissants (Doll la compagne de Dix, Maria, la femme du perceur de coffre ou May, l’épouse infirme de Emmerich), d’autres, celles par qui les hommes se perdent (Angela la maîtresse de l’avocat). Et c’est parce qu’il s’attarde à admirer une jeune fille danser, incarnation d’un plaisir qui lui est refusé que le doc, dont l’obsession sexuelle nous est révélée par petites touches durant l’histoire, est arrêté par la police. Plus que la malchance, toutefois bien réelle, qui enserre leur destinée, ce sont leurs faiblesses respectives qui entraînent les personnages dans leur chute et font échouer le cambriolage, frappés du sceau d’une fatalité qui est autant la marque de John Huston que du romancier W.R. Burnett, que le cinéaste adapte à nouveau après le High Sierra de Raoul Walsh dont il collabora au scénario. Tous les acteurs ont été idéalement choisis, de Sam Jaffe à Louis Calhern, de John McIntire à James Whitmore. Mention spéciale à Sterling Hayden qui ne sera peut-être jamais aussi bon (exception faite de Johnny Guitare, L’ultime razzia et Dr. Folamour) avec ce mélange de force et de tristesse qui n’appartient qu’à lui. N’oublions pas non plus une Marilyn Monroe débutante et par la suite exagérément mise en valeur par les photos et affiches alors qu’elle n’occupe que deux scènes. Mais son apparition, le corps moulé par un pantalon, est puissamment érotique. Enfin, il convient de louer la réalisation de Huston qui impressionne par sa maîtrise du cadre, en jouant sur les diagonales et la profondeur de champ d’intérieurs viciés et grignotés par les ténèbres que la caméra ne quitte que rarement. Bouleversante, la scène finale, où s’écroule mortellement Sterling Hayden aux pieds des chevaux dans ce vaste pré du Kentucky de son enfance qu’il espérait tant revoir, n’en est ainsi que plus forte, trouée verdoyante et paisible dans un univers corrompu et bétonné. Quand la ville dort est très justement considéré comme un chef-d'œuvre du film noir dont on comprend mal qu’il ait bien plus tard été exploité dans une version colorisée qui tient du pur blasphème. (25.09.2024) ⍖⍖⍖⍖


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