John Ford est un paradoxe. Alors qu’il trimbale une image de cinéaste conservateur, ami intime de comédiens pas vraiment réputés pour avoir des idées progressistes (John Wayne et plus encore Ward Bond), il a pourtant signé un pur western humaniste (La prisonnière du désert), attribué à un Noir le premier rôle d’un autre western (Le sergent noir) et surtout dépeint avec beaucoup de justesse le sort de classes sociales populaires dans Les raisons de la colère ou dans Qu’elle était verte ma vallée. Celui-ci rappelle déjà combien un réalisateur peut faire sien un projet qui ne lui était tout d’abord pas destiné. Ainsi, l’adaptation du roman de Richard Llewellyn, confiée au scénariste Philipp Dunne, devait être tournée par William Wyler qui en a choisi les comédiens mais auquel la Fox préféra finalement John Ford. Qu’elle était verte ma vallée s’avère pourtant un vrai film fordien. Par ses comédiens évidemment, de Maureen O’Hara, actrice fordienne par excellence (L’aigle vole au soleil), à Anna Lee (Le massacre de Fort Apache) sans oublier le truculent Barry Fitzgerald (L’homme tranquille). Par sa sensibilité qu’il ne faut pas confondre avec de la mièvrerie, quand bien même l’œuvre flirte parfois de peu avec le sentimentalisme. Par sa noblesse de traits qui évite le misérabilisme dans son portrait de ces gueules noires, fières et dignes en toutes circonstances. Par cette façon, attachante, de s’attacher à une communauté que lie une belle fraternité. Par l’importance allouée aux femmes (magnifique Sara Allgood), mères, filles ou sœurs, dont la caméra sculpte les visages avec une grande humanité. Dans l’importance de la religion qui embrasse la vie de ces hommes et femmes.
Tous ces événements qui les rassemblent, mariages, repas ou deuils, portent enfin très nettement la marque du cinéaste. Citons par exemple la tablée où se retrouve toute la famille autour du père (Donald Crisp dans le grand rôle du film) ou au contraire lorsque elle est désertée par les fils qui s’opposent au patriarche, qui reste seul avec le cadet. La vie des mineurs et l’évolution de leur métier qui les frappe de plein fouet sont brossés avec une finesse admirable. Là réside aussi d’ailleurs toute la magie du cinéma qui parvient à rendre réel et vivant ce village minier du Pays de Galles pourtant complétement reconstitué en studio ! Louons à ce sujet la remarquable direction artistique de Richard Day et Nathan Juran (futur réalisateur du Septième voyage de Sinbad). Laquelle doit aussi beaucoup à la maîtrise technique de John Ford. La pureté du cadre, des profondeurs de champs associés au noir et blanc de Arthur C. Miller dont l’éclairage contrasté modèle des intérieurs envahis par les ténèbres, confèrent à chaque plan des allures de peintures. Fustigeant intolérance et hypocrisie à travers l’histoire d’amour contrariée entre le pasteur et la fille de la famille Morgan et effeuillé par les souvenirs d’un enfant devenu adulte (mais qu’on ne voit jamais à cet âge), Qu’elle était verte ma vallée compte parmi les œuvres majeures de John Ford, chronique noble et émouvante. (03.02.2025) ⍖⍖⍖⍖
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