De tous les films de Martin Scorsese, After Hours n’est pas celui auquel on pense en premier ; il est pourtant un des plus jubilatoires. Et un des plus atypiques, à fortiori. Son titre aurait pu être Une nuit sans fin ou plutôt Un cauchemar sans fin. Paul est un homme ordinaire, informaticien insignifiant et solitaire qui s’échappe d’un quotidien terne et sans surprises par la lecture. C’est justement, une fois sa journée de travail terminée, assis dans un café en train de relire "Tropique du Cancer" de Henry Miller, qu’une jolie jeune femme l’aborde. Quel homme un peu timide n’a pas rêvé de vivre une telle situation ? Elle a un comportement un peu étrange mais qu’importe. Avant de partir brusquement, elle lui laisse un numéro de téléphone où il peut la joindre. Sous le charme, il la rappelle immédiatement une fois dans son appartement. Contre toute attente, le rêve se poursuit : elle l’invite chez elle, dans un atelier qu’elle partage dans le quartier de Soho. Il est déjà très tard mais il n’hésite pas. Déjà, un petit grain de sable vient perturber cette histoire trop belle pour être vrai : le seul billet qu’il a en poche s’envole par la fenêtre du taxi qui le conduit au rendez-vous. Il n’a plus d’argent à part quelques pièces. Comment pourra-t-il rentrer chez lui ? Cela ne l’inquiète pas trop, sachant qu’il va peut-être passer la nuit avec une très belle femme.
Mais rapidement, le rencard ne se déroule pas vraiment comme il l’espérait. Cette fille est quand même un peu bizarre. Effrayé par la cicatrice qui entaille sa cuisse et un livre sur les grands brûlés qui traîne dans son sac, il s’enfuit. Commence alors pour lui une odyssée nocturne qui le voit tomber de Charybde en Scylla au gré de ses rencontres avec une faune bigarrée et interlope. Sous le masque rassurant de la normalité, chaque personnage qu’il croise, dans un bar ou un club, va en fait le tourmenter. Les femmes surtout, serveuse ou artistes, qui le pourchassent dans ce lacis de rues trempées aux allures de labyrinthe fiévreux dont il devient le prisonnier. Baignant dans une atmosphère de plus en plus irréelle, le film maraude à la lisière d’un fantastique presque lynchien. Comédie noire aux confins de l’absurde, After Hours repose sur une mécanique implacable, à base de gimmicks récurrents (les clés, les sculptures) et où chaque scène en appelle une autre en un tourbillon paroxysmique. Dans un registre délirant qu’on n’imaginait pas lui convenir, Martin Scorsese livre un travail virtuose sans être démonstratif, soignant esthétique crépusculaire et cadrage anxieux qui participent d’une irréalité. Les dialogues sont à l’avenant, débités par des acteurs qui tous excellent dans un ton décalé, de Terri Garr à Rosanna Arquette en passant par Verna Bloom. Mention spéciale évidemment à Griffin Dunne qui, de tous les plans, porte le film, dépassé, malmené, statufié… After Hours est un grand Scorsese oublié qui, malgré ses quarante ans au compteur (déjà), vieillit bien. (26.02.2025) ⍖⍖⍖
.jpg)


Commentaires
Enregistrer un commentaire