Alfred Hitchcock - Le faux coupable (1957)


Coincé entre la seconde version de L’homme qui en savait trop (1956) et le mythique Sueurs froides (1958), Le faux coupable ne compte pas parmi les films d’Alfred Hitchcock les plus réputés ou cités. Il se solda d’ailleurs par un échec tant commercial que critique sauf en France où les Cahiers du cinéma, sous la plume de Jean-Luc Godard, saluèrent sa valeur. Nonobstant son thème de l’individu accusé à tort si cher au cinéaste dont l’œuvre, des 39 marches à La mort aux trousses, est pleine de ces héros qui bataillent pour prouver leur innocence, The Wrong Man ne représente pas, il est vrai et à bien des égards, le métrage le plus typique de son auteur. Contrairement à ses habitudes, Hitchcock s’inspire cette fois d’une histoire vraie, celle d’un musicien de jazz identifié à tort par des témoins comme le responsable de plusieurs vols. Ce qui lui dicte une approche résolument réaliste à laquelle participent à la fois le recours au noir et blanc, le tournage sur les lieux mêmes de l’action (le Stork Club, les locaux du NYPD) ainsi qu’une absence de glamour et de spectaculaire. Et d’humour. Il en résulte un film froid et austère dans sa précision quasi documentaire. Un peu à la manière des polars de la Fox des années 40, le réalisateur s’attarde sur le fonctionnement de la police judiciaire. Ballestero une fois arrêté, c’est toute une mécanique implacable qui se met en route, faite de maints détails techniques et de coïncidences qui l’accablent peu à peu. Moins ludique que de coutume, la mise en scène du maître n’en est pas moins brillante (cf. la façon dont la caméra pénètre dans la cellule par exemple). Singulier, Le faux coupable l’est également par son atmosphère cauchemardesque. Plus l’histoire se dévide plus ses protagonistes s’abîment, l’un dans une inextricable fatalité (Manny), l’autre dans la folie (son épouse) que rien ne semble pouvoir enrayer. Ainsi la descente aux enfers du héros se double d’une seconde, celle de Rose (excellente Vera Miles) qui, rongée par la culpabilité, finit par perdre les pédales. 


Tout le film repose sur ce thème de la culpabilité, judiciaire ou émotionnelle qui confine à la punition. Ce qui nous conduit à une autre caractéristique de The Wrong Man, cette dimension religieuse qui le rend également atypique. Face au sort qui s’acharne contre lui, il y a quelque chose d’un martyr chez Ballestero qui affronte les événements qui s’abattent soudain sur lui et sa famille avec une abnégation sacrificielle cependant que sa délivrance viendra d’une intervention divine après avoir prié pour son salut, un chapelet serré dans la main, le regard tourné vers une représentation du Christ. Presque sosies, Daniel (le vrai coupable) et lui incarnent les deux faces d’une même pièce. Le bien et le mal. De là l’évidente proximité tant formelle (le noir et blanc dû à Robert Burks) que thématique (l’innocent accusé à tort, la religion) entre Le faux coupable et La loi du silence (1953), autre film d’Hitchcock d’ailleurs très (injustement) sous-estimé. Henry Fonda est évidemment parfait. De retour au cinéma depuis Permission jusqu’à l’aube en 1955 après avoir déserté le grand écran durant presque sept ans, le comédien incarne aux yeux des Américains l’archétype du citoyen droit et intègre, incapable du moindre agissement criminel, ce qui confère au rôle une force supplémentaire. Il exprime tout en intériorité les inquiétudes puis l’impuissance de cet homme exemplaire (ce que le vrai Ballestero n’était pas) face à une situation qui lui échappe alors que son innocence ne fait aucun doute. Le simple regard qu’il jette au moment d’entrer dans le couloir menant aux cellules comme s’il était poussé vers l’échafaud dit tout de la détresse qui s’empare de lui. Enfin, réflexion sur le système judiciaire, The Wrong man interroge ses failles au premier rang desquelles il y a ces témoignages dont l’incontestable bonne foi ne les exonère pas d’une dramatique méprise, pouvant conduire un innocent derrière les barreaux ou pire, à la mort. Moins jubilatoire que Mais qui a tué Harry ?, moins culte que Vertigo, Le faux coupable n’en demeure pas moins un film essentiel dans l’œuvre d’Alfred Hitchcock, davantage certainement que le plus célèbre mais anecdotique Main au collet, par exemple, auquel il est bien supérieur. (07.02.2024) ⍖⍖⍖


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