Richard Fleischer - La fille sur la balançoire (1955)


En 1906, le meurtre de Stanford White par Harry K. Thaw secoue la bonne société new-yorkaise. Le premier était un architecte de renom, le second un milliardaire bon à rien. Entre les deux, une danseuse âgée de seulement 16 ans, Evelyn Nesbitt, d’abord maîtresse de White avant d’épouser Thaw.  Durant le « procès du siècle », le meurtrier plaide la vengeance, n’ayant pas supporté que la pureté de la jeune femme ait été souillée par son rival dont il jalousait le succès mondain. Contre toute attente et grâce au (faux) témoignage d’Evelyn, il sera acquitté. Cinquante ans plus tard, La fille sur la balançoire adapte cette histoire qui inspirera également à Claude Chabrol La fille coupée en deux (2007). Réputé pour ses polars (L’énigme du Chicago Express, Les inconnus dans la ville), ses films d’aventures (20 000 lieues sous les mers, Les Vikings)  ou de science-fiction (Le voyage fantastique, Soleil Vert), il serait tentant de penser que Richard Fleischer n’était pas le réalisateur le plus adéquat pour porter à l’écran ce drame passionnel en costumes. Mais c’est oublier que l’exploration psychologique forme le soubassement de nombre de ses films, même – et surtout – ceux qui se fondent sur un récit criminel (Le génie du mal, L’étrangleur de Rillington Place…). En cela, La fille sur la balançoire a toute sa place dans l’œuvre du cinéaste. Le procès et son issue sur fond de classique triangle amoureux intéressent moins Fleischer que la déchéance à la fois émotionnelle et sociale de son héroïne peu à peu broyée par une masculinité peu sympathique. Stanford White cultive les passions pour les très jeunes nymphettes tandis que Harry Thaw ne peut cacher les névroses qui le rongent, dandy violent aux mœurs toutes aussi dépravées. Evelyn elle-même est un personnage ambigu. De basse extraction, n’est-elle pas finalement une arriviste usant de ses charmes pour manipuler les hommes et gravir les échelons de la bonne société ? 


La censure a imposé au metteur en scène et aux scénaristes Charles Brackett et Walter Reisch une approche à la fois édulcorée mais tout en non-dits qui culmine lors de la scène puissamment érotique où la jeune fille fait de la balançoire, poussée par Stanford White en un mouvement de va-et-vient jusqu’à au plafond, métaphore évidente du septième ciel. Volontairement pour des raisons commerciales, l’opposition entre les deux rivaux est appuyée alors qu’ils incarnaient dans la réalité les deux faces perverses d’une même immoralité. Sous les traits rassurants de Ray Milland qui lui prête son assurance distinguée, l’architecte attire la sympathie, malgré ses inclinaisons douteuses, face au riche oisif et détestable, interprété par un Farley Granger, toujours à l’aise dans ce registre trouble, qui force sur le côté déplaisant. Coincée entre eux, Joan Collins livre une performance toute en finesse dont le regard suffit à exprimer l’ambivalence de son personnage, entre romantisme et tentation équivoque. Premier choix du studio, Marilyn Monroe aurait-elle été plus convaincante avec cette suavité à la fois fragile et agressive qui n’appartenait qu’à elle ? Il est permis de le penser, ce qui n’enlève rien à Joan Collins qui, après La terre des pharaons, trouve là un de ses rôles les plus marquants. Habillé d’un technicolor flamboyant, La fille sur la balançoire est une œuvre amère et cruelle sur la fin de l’innocence et les rapports de classes auxquels on ne peut échapper. (08.04.2024) ⍖⍖


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